Elle veille à la barre, ils s’endorment. En milieu de matinée Bertrand s’éveille, trouve de la rosée qu’il éponge, essore dans la bouche de Philippe, puis presse à nouveau des fruits pour lui. Arthur peine à se réveiller, puis secoue sans succès Frédérick que Bertrand installe près de Philippe.
Bertrand : Nous ne tiendrons plus bien longtemps, mais pour la première fois j’ai vu de la rosée, les pouvoirs de la créature faiblissent.
Il nous faut positionner casques et plastrons ainsi que toute surface sur laquelle de la rosée pourrait se déposer, la faire boire au faible.
La Dame : Je veillerai sur vous jusqu’à la terre ou le moyen de vous sauver et vous partagerai l’eau douce d’où qu’elle vienne. Par contre mes pouvoirs ont disparus, plus moyen d’allonger bras torse ou jambe. Je me sens tout de même pleine de vitalité malgré ce régime très salé.
Bertrand s’adressant à Arthur : Monseigneur, prenez la barre, nous ramerons autant qu’il faut. Nous avons déjà couvert une bonne distance
Arthur sans parler, tient la barre, limitant sa fatigue. Bertrand devise gaîment pour cacher son embarras face à la faiblesse de son protégé.
Bertrand : J’ai la chance d’être résistant moralement et physiquement, j’ai développé cette capacité lors de mes études de novice à l’abbaye. Nous démarrions notre journée à une heure et demi du matin pour être libéré à sept heure du soir après études, prières, travaux des champs, maçonnerie, artisanat ou autre.
Souvent je traînais pour lire ou recopier pour mon compte des œuvres rares comme ces feuillets de l’Odyssée que j’avais emporté pour notre voyage. Je résistais biens aux privations.
J’ai démarré cette aventure en pesant trois cents livres, avec de la réserve, je tiendrais bien un jour ou deux de plus, le temps de vous apprendre comment prendre bien soin de nous, la rosée, les fruits, nous tourner régulièrement et nous offrir du confort pour éviter des plaies dues à l’immobilisme appelées en jargon Gangraena per decubitum.
Après une journée à la barre, Arthur s’assoupit, sur place, Bertrand l’allonge avec les deux autres et prend la barre quand la nuit tombe.
le vent s’est levé apportant une légère humidité qui est une caresse pour leurs corps assoiffés et leur redonne l’espoir de d’avoir la pluie.
Bertrand tient le cap toute la nuit, passant le relai au matin pour cueillir une rosée plus abondante que la veille. Arthur ne s’éveille pas malgré les sollicitations et le linge qui lui baigne le visage. Les chevaliers ont les traits émaciés, surtout les trois à peine adultes.
Bertrand est las, d’un naturel volubile souvent didactique, il peine au septième matin sans eau douce à dés-embrumer son esprit et sa bouche.
Il effectue les soins par automatisme, beaucoup plus lentement que la veille, sans joie. La Dame, qui a suivi ses indications, l’assiste.
Le nuage gris s’étiole au dessus d’eux et les nuages de pluie sont visibles avant l’horizon. Bertrand rame le matin en duo avant d’abdiquer.
Il reprend la barre se couche avec le soleil en donnant quelques dernières recommandations. La Dame soigne les hommes et barre toute la nuit.
Bloquée au milieu de nulle part, ses amis inconscients, seule à ramer, sans pouvoir, elle ressent une faim intense depuis quatre jours malgré de copieux repas. Son esprit évoque tour à tour chacun des animaux qu’elle a mangés vivants. Les oiseaux de mer fuient son regard brûlant.
Dans l’après midi, une bruine complète la rosée du matin, elle la partage entre les chevaliers. Son espoir de les voir réveillés grandit.
Elle continue sa route à l’est, le vent donnant bien la nuit, elle rame le jour, sentant poindre les limites de sa résistance à la fatigue.
Observant la voûte céleste pour se guider, elle constate la disparition du nuage spiralé qui se maintenait à la verticale de l’embarcation.
Elle accueille avec fortes exclamations une averse brève mais rafraîchissante, dont elle distribue par petites doses ce qu’elle a recueilli.
Bertrand remercie le ciel en latin dans son sommeil. Toutes les deux heures, elle donne à chacun un peu d’eau et voit la vie renaître en eux
Suivant une sorte d’instinct bienveillant, elle mâche longuement des fruits et de la viande et à chacun donne la becquée de cette bouillie.
Elle alterne pilotage de la yole et nourrice un jour de plus jusqu’à voir à midi un point blanc au Nord qui grandit vite et devient voilure.