À quelques dizaines de pas de la ville de Berquet (qui deviendra plus tard Bénodet), se trouve un vénérable pommier, protégé des nymphes. Au matin de la nouvelle lune, il craque et, dans une effluve presque sucrée, expulse une femme, sans que personne ne l’aperçoive. La nouvelle-née chancelle et tombe. La naissance s’achève avec une grosse pomme pas encore mûre tombe pour participer à sa manière à l’enfantement, pour répandre la vie à son tour.
Les portes de la ville s’ouvrent avec cliquetis et grincement. Des soupirs et des hennissements leur répondent parmi la file déjà longue de piétons, cavaliers, chevaux, mulets et charrettes qui venaient du levant. Chacun paie aux gardes, l’un renfrogné, l’autre patibulaire.
Quatre cavaliers rutilants, apparaissent loin vers le levant, talonnés par la poussière de leur chevauchée.
La nouvelle née se lève doucement, rajustant sa tunique légère de soie verte, et sa ceinture de cuir doré tressé, redressant ses fourreaux courts dorés. Foulant l’herbe fraîche de ses sandales de cuir tressé doré, tenaillée par la faim, elle rejoint la route qui mène aux portes de la ville. Son esprit vide absorbe l’information comme une éponge, la répétition des échanges finit par faire sens et l’ensemble se hiérarchise dans sa conscience. Arrivée dans la file qui s’est réduite, elle voit les transactions, fouille en vain son absence de poche, s’assoit sur le côté peu avant son tour.
Puis c’est le tour des quatre cavaliers, armés et armurés. Un garde leur explique, une pièce de bronze par jambe et roue pour chaque visiteur.
Le cavalier au plastron et casque dorés, au cimier ouvragé reprenant l’héraldique de son bouclier s’adresse à la personne posée sur le bord : Permettez-moi d’oser vous inviter. Une dame de votre qualité mérite meilleure hostellerie que dormir dans l’ornière et déjeuner de rosée. Voici mes compagnons de route : mon précepteur et ami, Bertrand ou Beltran de Torres du Guesclin, fils de feu Bertrand du Guesclin. Philippe de Vierville et Frédérick de Malastreg, mes camarades et amis avec qui j’ai reçu la plupart des enseignements de Bertrand. Et moi-même, Arthur de Richemont. Et vous qui êtes vous ?
Elle comprend la teneur de la proposition. Réprimant un gargouillis caverneux, elle sourit bouche fermée, opine puis preste se lève et suit les cavaliers en haletant de façon sonore. L’écho de sa respiration enfla en traversant la profonde ouverture à travers la muraille. Les chevaux tressaillirent en pressant le pas.
***
Il se grattait nerveusement le pied au dessus du sabot droit. Les démangeaisons venaient de reprendre. Il en était pourtant libéré depuis bien longtemps.
Jusqu’au dîner, il était fier de sa réussite. Doué pour les langues et l’écriture, A peine sorti de l’enfance, on l’envoya très tôt dans un monastère sur ordre du concile des langues. Dix ans plus tard, il traduisait quatre langues, le grec, le latin, l’araméen et l’arabe et lisait des bribes d’autres langages. Un inquisiteur dans le besoin le prit sous son aile, pour l’aider dans sa tâche. Il eut sous les yeux des manuscrits occultes. Il les étudia à fond et apprit à lire des langues oubliées. En accompagnant son maître, il fit son chemin dans la hiérarchie. A la mort de ce dernier, dix ans plus tard, il prit sa place. Usant des arcanes du pouvoir autant que du pouvoir des Arcanes, il se servit sans vergogne des manuscrits magiques pour accroître sa main mise sur l’inquisition. Fêtant ses cinquante sept ans aujourd’hui, le voilà à la tête du pouvoir de la moitié de l’Europe, faisant frémir des rois, terrorisant des princes.
Pourtant le moindre de ses manuscrits mis au jour, le plus petit secret rendu public, l’emporterait vite vers le sort qu’il avait lui même réservé à des milliers de sujets, la torture et la mort.
Huit ans auparavant, il perdit l’usage de ses jambes dans l’éboulement d’un escalier. Impotent, il ne pouvait maintenir sa main mise sur l’église et perdre sa vie confortable l’enverrait vers une fin misérable. Il fit un pas de plus vers le Pouvoir en appliquant pour lui même un puissant sortilège qu’il avait renommé avec humour : les trois membres de Baphomet. Trois mois pour préparer ce rituel, dans une tour aveugle et muette de l’île de la Cité à Paris.
Huit ans donc que sous le nombril, il était doté du corps d’un satyre. Si le rituel avait été compliqué à lancer, il avait vu très vite que le maintenir était exigeant au quotidien. Sa partie inférieure avait des appétits qu’il ne se connaissait plus, cinq fois par jour au minimum.
Il fut bien vite obligé d’organiser l’approvisionnement de victimes innocentes, qui dans un premier temps niaient avoir fait commerce avec le Diable mais qui finissaient bien trop vite avouer avoir forniquer avec un vieux bouc. Ces femmes, jeunes et jolies autant que possible, finissent tôt ou tard sur le bûcher. Il fallait en trouver toujours plus, toujours plus loin, l’abstinence mettait un terme au sortilège.
Aujourd’hui, huit ans ont passé, il ne pouvait nier avoir fait du mal aux royaumes, principalement la France et l’Espagne, semant la terreur par ses rafles, prélevant des jeunes filles dans les populations, tuant ceux qui résistaient. Sa milice privée agissait pour son compte, sous couvert de chasser le Malin que chacune de ses victimes finissait par rencontrer.
Plusieurs frères de l’Ordre eurent des doutes, quelques uns des soupçons, tous périrent après avoir avoué servir le Mal.
Il avait trouvé une solution et y travaillait depuis trois ans, faire venir une créature féminine d’une résistance suffisante et d’en faire une compagne aux ordres et à disposition.
Trois mois de préparations pour la première tentative. La créature invoquée, une dryade, s’enfuit et périt par ses hommes.
Depuis deux ans, il travaille sur un alliage entre une créature démoniaque, que l’on pouvait rendre servile et une créature d’essence féminine comme la dryade.
Ce fût un succès partiel, l’invocation a marché, le rituel consolidant le tout. Mais le cercle extérieur contrôlant le pentagramme, a été brisé par la chute d’une bougie noire, un instant avant l’achèvement du rituel, projetant l’invocation au nœud de force tellurique puissant le plus proche, coté ouverture du cercle, vers l’ouest, certainement quelque part dans le royaume de Bretagne. La plupart des sites énergétiques avaient été consacrés par les religions anciennes que l’église s’était empressé de démolir et de remplacer par ses lieux de cultes. La Bretagne était encore forte des anciens rites et possédait encore quelques créatures et sites magiques.
Le sortilège avait été ébréché, la forme physique et l’essence de la créature étaient apparues ailleurs. Sa malévolence, sa servilité et ses connaissances étaient restées au centre de l’assemblage compliqué de symboles sur le sol de chaux blanche qui avait été coulée sur le plancher du dernier étage de la tour. Seule une flamme bleue et rouge manifestait la présence de la créature.
Cette flamme allait décliner, il fallait y fusionner le corps physique avant son extinction.
Il dépêcha son meilleur élément, une brute, qui avait la capacité de ressentir les choses surnaturelles.
A plusieurs reprises, il avait usé de sortilèges sur ce paladin pour le rendre plus fort, plus résistant, le rendant plus méchant. Il avait pris garde de rendre sa perception extraordinaire inopérante contre lui pour ne pas se faire occire. Ce paladin était parti à la poursuite de la créature avec ordre de la rapporter vivante. Mais à force de pratique, il n’aimait que trop tuer, se rengorgeant du pouvoir absolu qu’il pensait détenir de sa fonction.
Une créature magique en liberté, c’était de plus en plus rare, l’église y avait veillé depuis plus de mille ans. Les créatures avaient quitté les territoires et les mémoires. Ne restait que des lambeaux de légendes de faits d’armes de héros chrétiens tuant des monstres. La Bretagne résistait encore un peu.
Le pouvoir de l’église ne tenait que par l’oubli, par les peuples, de savoirs que peu détenaient encore sur le continent.
Même les capacités du Christ avaient pour cause, plus des pouvoirs appris par ce dernier, que des dons offerts par son prétendu père. Heureusement, il fallait aller bien loin aujourd’hui pour en trouver des pratiquants.
Cette créature allait semer la zizanie. Il allait falloir limiter la casse et être discret.
Sa condition lui interdisait les voyages. Il devait faire confiance à ses hommes de main.
Il gérait beaucoup de choses de derrière son bureau, ses pieds à l’abri des regards et ses visites multi quotidiennes dans une garçonnière autant discrète que spéciale rendait difficile les déplacements extra muros.
Il tentait d’oublier l’échec de la veille, comptant sur la force de ses sbires pour rétablir la situation.
Il pensait à sa future possession, un livre dont il avait retrouvé la trace dans les écrits d’une secte d’Alexandrie qui tenta de prendre pied à Jérusalem pendant les croisades.
Un livre oublié, caché dans une île perdue qui n’était plus sur les cartes depuis au moins mille ans.
Un grimoire multimillénaire qui détenait de nombreux pouvoirs, dont celui de contrôler la Mort elle-même.
Ce livre avait été mis hors de portée jadis, pour contrecarrer les plans d’un roi d’Égypte qui avait ravi le trône à ses parents, en avait désespérément besoin. Sans le précieux ouvrage pour le sauver, de santé très fragile sans doute à cause de trop de consanguinité, il mourut jeune.
L’avoir pour soi dans les semaines à venir lui garantissait grâce à son étude approfondie et ses savoirs déjà acquis de devenir pour les siècles à venir l’éminence grise qui contrôlerait si ce n’est le monde, au moins l’Europe entière.
Ragaillardi par ses pensés agréables, il donna l’ordre de préparer une nouvelle victime, ferma son vaste bureau et descendit par l’escalier étroit en colimaçon camouflé derrière une paroi moulurée. Il ôta et accrocha ses robes monastiques, mis son masque de cuir bouilli rouge et cornu emprunté à long terme à un comédien qui n’en a définitivement plus besoin. Vêtu de ce seul accessoire, poussant la paroi de pierre pivotante, il entra de façon théâtrale dans la cellule confortablement meublée, terrorisant la jeune femme qui venait d’arriver.
L’auberge est bien fréquentée, la clientèle composée de marchands, d’artisans et de pèlerins de toutes obédiences, l’accueil chaleureux. La chambre offerte par Arthur est petite mais coquette, les repas bien cuisinés et copieux mais il reste toujours un creux à l’estomac.
Avant l’aube du troisième jour, réveillée par la faim, de ruelle en venelle, surprenant de gros rats apeurés, poursuivant un vieux chat maigre. Elle arrive sur la place du marché, où s’étalent des vendeurs de volailles et de bétail, dont un petit enclos de cochons de lait criards.
Avisant l’un d’eux, bien rose et dodu, elle approche, fait face au mur contigu, créant un espace d’intimité, sourit de toutes ses belles dents. Elle élargit son sourire à plus d’un pied, passe sa langue sur ses dents luisantes de salive et à l’insu de tous, allonge le bras vers lui. Elle applique fermement sa main sur le groin du porcelet, l’apporte vivement près d’elle, l’empoigne des deux mains et le porte à ses lèvres.
Elle ouvre grand la bouche, engloutit l’animal qui faisait au moins vingt cinq livres de chair et d’os, gonflant ses joues puis déglutit. cette masse supplémentaire, distend sa gorge, son cou, puis sa robe et se stabilise au niveau du nombril tirant la peau et la soie verte.
L’apparition soudaine de cette protubérance attire l’attention des marchands et des camelots qui avaient observé le passage de la « dame ». Le propriétaire du cochon constate son absence puis pousse un cri, voyant la proéminence qui a remplacée la taille fine vue à l’instant. Il vocifère « la voleuse, la voleuse »
Elle s’enfuit dans une ruelle en descente, ceinturant son ventre de ses mains, une odeur d’embruns se mêle aux odeurs organiques de la ville. Une petite escouade de miliciens en armes et armures usagées rejoint le marché et interroge le marchand lésé. Ce groupe part à sa poursuite.
Les cris des mouettes, les odeurs de marée lui arrivèrent lors de sa descente puis elle déboucha sur une placette à demi bordée d’un port. La plupart des navires étaient marchands, quelques bateaux de pêche s’apprêtent à partir et un puissant bâtiment de guerre arrive à quai.
Arrêtant sa course au milieu de la place, par manque de poursuivant et de choix de direction, elle vit un colosse en armure complète sauter du plus gros bateau sur le quai d’un bond d’au moins trois mètres, prenant pied avant les marins, puis les miliciens et le marchand déboulèrent suants sur la placette.
Le commerçant s’adressant au colosse puis montrant le ventre, Messire Paladin cette femme m’a volé un cochon et l’a avalé , voyez il est ici
il répond « C’est pour occire cette créature démoniaque que j’ai débarqué promptement », sort sa grande épée à deux mains rangée dans son dos. Il abaisse la visière de son casque et frappe deux fois, elle esquive, se faisant légèrement entailler au bras droit à la deuxième attaque.
Le sang sur l’épée émet des fumerolles. Instinctivement, elle sort ses dagues et se met en position pour parer. Le paladin frappe encore. Elle pare, riposte. Il redouble ses attaques, elle pare, riposte touchant de peu le pectoral d’acier bleui. En dégageant son épée, il la blesse aux avant bras.
L’épée fume encore. Elle secoue les bras pour chasser le sang qui coule vers ses mains. Elle attaque au ventre, il recule d’un puissant saut mais pas assez car le bras s’allonge et la dague vient perforer la plaque du ventre et déchirer les trois épaisseurs de mailles rivetées.
En blessant ses entrailles, elle hume le parfum de la peur de son adversaire dans son sang et exhalant de sa peau remplaçant sa suffisance.
Tenaillé par la douleur, animé par l’énergie du désespoir, il frappe plus fort, les parades tiennent mais les dagues pleurent des étincelles. Il feinte, elle pivote et pare une attaque factice, offre son dos. Il fait un pas de coté, frappe d’estoc au cou, elle esquive des jambes.
Il rajuste son coup terrible, transperce l’omoplate droite, pour ressortir de trois pieds sous la jolie clavicule à la naissance du sein.
Le sang lui gicle au visage, malgré son casque et sa visière, manquant de peu ses yeux, brûlant sa peau, ses cils, ses sourcils et sa barbe. La surprise lui fait lâcher son épée.
Soupesant la difficulté et l’avantage, elle bondit et amerrit quinze pas plus loin à l’abri du quai.
Son casque fume de l’intérieur comme de l’extérieur, il l’ouvre puis l’ôte et le jette. Il cherche sa vile proie et sa précieuse épée sainte. Il s’essuie rapidement le visage et le cou sur un chiffon sale et puant pris à la ceinture du marchand, sa face est à vif et ses poils se dissolvent.
Son casque ouvragé, gravé du symbole de sa foi n’est plus qu’un petit tas de rouille grésillant. il a fait son office mais sa messe est dite.
L’épée consacrée subit les outrages d’une corrosion venue d’ailleurs, perd sa substance dans sa partie incarnée, devient un barreau rouillé. Nager est difficile avec la blessure et les lourds appendices récents qui ne sont pas des nageoires. Elle coule lestée de plus de vingt livres d’acier qui la brûle, visiblement conçue contre sa nature.
Le marchand devine que d’autres ont des problèmes plus graves, rebrousse chemin, jette son chiffon à moitié dissout et rince sa main dans un tonneau de pluie.
Les miliciens de nuit, fatigués, ont peur, du paladin et de sa puissante cible, mais ne veulent pas s’enfuir car cela causerait leur perte. Les marins du bâtiment de guerre, suivent les ordres du paladin, scrutent l’eau, s’aidant du fanal du bord pour chasser l’ombre de la ville.
Au fond de l’eau, elle marche sur le sable entre les algues et s’oriente vers l’ouverture de la crique qui protège le port. Elle retient son souffle.
Le paladin reçoit les soins du chirurgien de bord qui lui tartine le visage et le cou d’onguent apaisant et cicatrisant et lui verse du vin très chaud dans le ventre. Les miliciens apeurés, suivent les ordres, se répartissent sur le bord du quai, l’épieu vers l’eau, prêts à frapper tout ce qui en sortirait.
En pleine mer, elle allonge les jambes pour avoir le nez à l’air entre deux vagues. L’épée finit par se rompre . La blessure ne saigne plus. Elle dégage les morceaux de sa main valide, les laisse couler sans égard pour les pierreries de la poignée avant de la ramasser sur le fond.
Les quatre chevaliers se préparent, Arthur cherche son invitée, l’aubergiste lui annonce son départ de l’auberge sans bagage peu avant l’aube. Pendant le petit déjeuner, des rumeurs circulent entre les tables sur une belle fille en vert, chapardeuse, noyée après avoir combattu un paladin.
Arthur presse ses camarades, et va au port négocier un départ plus tôt avec le capitaine. Il obtient de lever les amarres dans une heure.
Le navire sur lequel il avait réservé un voyage est ventru, avec deux mats, très toilé et emporte des marchandises autant que des passagers. Il comptait laisser les chevaux en ville, mais négocie là, pour les emporter dans le bateau, le capitaine est réticent même pour trois jours. Ils tombent d’accord grâce à plus d’or, chacun rassurera son cheval à la cale, et les marchandises précieuses iront en cabine loin du crottin.
Arthur achète, à la place de la petite barque prévue à l’origine, une forte yole, seul moyen de débarquer sur l’île avec le fourrage des quatre chevaux. Sa bourse s’aplatit, il négocie le passage d’une éventuelle autre personne, le marin content de sa matinée, offre une place dans sa cabine.
Tout le monde est à bord, le dernier cheval arrive suspendu à une vergue quand le paladin vient sur la place du port et crie le nom d’Arthur. Plus d’or en main, le capitaine fait vite établir les voiles hautes pour profiter de la brise et trancher les amarres. Le navire s’éloigne.
Marcher au fond, la tête hors de l’eau n’est pas facile avec près de neuf mètres d’eau, même en allongeant le tronc, sur la pointe des pieds. La brulure de l’épée fait place à des picotements de moins en moins désagréables. Reprenant une longueur normale, elle fait la planche sur le dos en nageant doucement le visage face au soleil levant. Ses blessures ont disparues sans traces. Sa tunique est ravagé, la soie rongée et ténue, aérée de trous, le plus gros là où s’était logé l’épée. La mer a lavé le sang limitant les dégâts. Le contact avec ce qui reste de l’épée lui est désagréable. Elle cueille un long laminaire et le roule deux tours autour du fort de l’épée. Puis Elle croise en huit autour des quillons, finit par la poignée où elle noue la tige par dessus le rouleau d’algue pour attacher le tout.
Le cheval suspendu, est balancé de bâbord à tribord, panique, gigote et finit par tomber sur une toile tendue au dessus d’un tas de cordages. Le navire s’éloigne peu à peu, le Paladin s’avance jusqu’au bord du quai, puis d’une voix forte, malgré les blessures au visage et au ventre :
« Arthur de Richemont, vous serez reconnu coupable de commerce avec une créature démoniaque, vos terres, vos titres, et vos biens seront saisis ! Je vous soumettrai à la question, vous serez passé à la roue, écartelé, décapité et brûlé sur le bûcher!! Vos trois vassaux subiront de même ! »
Du bateau, déjà à un bon tiers d’encablure, Frédérick encoche une flèche sur l’arc qu’il tient caché derrière le plat-bord, le tend et lève. Souple sur ses genoux, épousant les mouvement du bateau, il décoche dans un geste délié. La flèche franchit l’espace en vibrant et se fiche dans le cou du Paladin qui ne porte plus son armure et n’est pas protégé par son gorgerin, la flèche passe par la pomme d’Adam, se glisse entre ses cordes vocales, terminant sa plaidoirie, trouve son chemin entre deux vertèbres pour ressortir derrière. Il a une expression de surprise puis un flamboiement de colère dans les yeux, avant de basculer en avant dans l’eau. Il coule rapidement et personne autour ne sait nager ou se mouiller pour lui.
Le capitaine lance des ordres et le navire prend rapidement de la vitesse, quitte la baie qui protège le port à une belle allure vers le sud.
Elle voit arriver un navire, fait signe et entend aboyer des ordres. Le bateau s’arrête près d’elle, une échelle de corde descend, elle monte. Arrivée en haut, un homme s’adresse à elle : « Je suis le capitaine de ce navire, j’imagine que vous êtes l’invitée du Comte Arthur de Richemont, pas d’entourloupe sinon vous retournez à l’eau plus vite que vous en êtes sortie. » Il lance des ordres, le navire reprend de la vitesse.
Elle dégouline sur le pont. La vision d’une naïade dénudée voluptueuse à la peau claire fige les marins plus fort que le chant des sirènes. Sa tunique verte, mouillée et transparente, ajourée par endroits met en valeur ses rondeurs, sa taille fine, ses cuisses galbées et fuselées. Du côté gauche, un globe généreux tend l’étoffe fine, un téton hardi, durci par l’eau fraîche forme un petit chapiteau. De l’autre côté, nu, son jumeau d’une couleur laiteuse, contraste avec son centre rouge comme le milieu d’une cible. Son dos parfaitement dessiné par ses muscles, sa taille fine, ses hanches larges, terminés par des sphères parfaites, confirment le nombre d’or et l’existence d’un Créateur inspiré.
Arrivé bien au large, le capitaine va à sa cabine située sous la dunette arrière, se munit d’un maillet, dégage son épais matelas de plumes, chasse trois chevilles qui dépassent sur le tableau arrière s’en suit un plouf. Il range son maillet et se frotte les mains de satisfaction. Il ressort et demande à son charpentier de jeter des espars brisés et lui commande une plaque avec un nom fantaisiste, la Mouette Bleue. C’est ainsi que finit l’irondelle.
Assis à l’avant en tailleur sur un tapis de soie, un homme maigre, le cheveu grisonnant, est affairé à broder minutieusement un grand drap. Il la regarde et lui fait signe de la main. Elle approche. « Gente dame, votre riche toilette est fichue, mais il se trouve que j’ai à vendre une pleine bobine de la plus belle soie de votre couleur, ma dernière et je peux vous faire un bon prix. Mais vous dégoulinez, essuyez-vous, dit-il en sortant de sa poche un tissu gris délavé de la taille d’une mandarine, qui se gonfle aussitôt.
Elle pose son paquet d’algue, se drape de gris en entier, s’essuie.
J’ai donc en trois pied de large, pour trente toises de votre couleur. De quoi refaire, avec un peu d’astuce, votre robe cinquante fois. Elle déballe son paquet iodé et lui tend le contenu.
Seigneur, c’est le trésor d’un prince. On me paie souvent en pierreries, mais là c’est beaucoup trop. Me permettez vous de démonter ce que je pense être juste ?
Elle hoche la tête. A l’aide d’une forte aiguille, il libère deux émeraudes superbes, chacune de la taille d’une demie noix, les cache dans un pli du drap qu’il brode puis, un tout petit diamant et trois topazes. Je marie ma fille au printemps et je prépare son trousseau. Ces topazes lui feront une belle parure, ce diamant ira bien à son doigt. Gardez pour vous ces belles émeraudes qui vont avec vos yeux.
Voyez-vous çà ! Derrière ces pierres, cachés, une dent d’un coté et des cheveux fanés. Ce trésor l’est plus encore. Il sort une chute de tissu, et protège les reliques de plusieurs tours.
Contre ces quatre pierres, je vous propose ma soie, un nécessaire de couture de voyage et je vous apprends à coudre. Elle opine, il empoche. Elle remercie, remballe son paquet marin et se lève.
« Gardez ce chiffon. »
Plus loin le capitaine lui annonce que son ami est en bas, à la cale.
Elle descend, tombe sur quatre chevaux déjà pas très rassurés et leur cavaliers. Elle les salue, eux tiennent fermement la bride des chevaux.
Elle tend à Arthur son paquet, ce dernier l’ouvre : Mon dieu quelle ruine ! Cette épée était une légende, un trésor du royaume de France Presque aussi puissante que Durandal, l’épée de Roland le preux. L’histoire nous raconte qu’elle contient deux reliques des douze apôtres, Crois-tu, Bertrand, qu’il y a quelque chose à sauver, à part les huit pierres qu’il reste ?
Je peux changer le cuir de la poignée, limer ici. Vous ne pourfendrez personne avec elle, mais vous parerez des attaques formidables. Les pierreries ne servent à rien, elles nous financeront. A défaut d’avoir un archevêque sous la main, je la oindrai d’huile bénite, Messire, si vous avez la foi, elle sera puissante dans votre main.
Déjà trois jours de mer, et l’île est encore loin. Le capitaine prétexte des vents inhabituels, la chaloupe qui les freine, les chevaux qui empêchent de gîter suffisamment pour prendre le vent au grand près. Il lui annonce que le voyage durera sept jours, sauf problème ou avarie.
Les provisions des chevaux seront sévèrement entamées, Philippe avait prévu deux semaines de fourrage. Arthur demande au capitaine une cargaison de foin et d’avoine à son retour, ce dernier accepte de bonne grâce. Les chevaux s’impatientent, tolèrent mal ce transport inhabituel étroit.
L’élève apprend vite grâce à une grande habileté, son professeur est talentueux et didactique, la trousse très complète malgré sa compacité. La première robe est un peu brouillon, après sept jours de travail, les deux suivantes de mieux en mieux, la dernière dépasse l’originale.
Avant l’aube de huitième jour, la faim intense se manifeste, elle visite les recoins de la cale, précédée par des rats, cueille le plus gros. Elle l’engloutit, la cloche à bord sonne, les marins ensommeillés quittent d’un bond leur hamac sans voir la queue qui file entre ses lèvres.
Le navire arrive en vue de l’île par le nord, une falaise de près de mille pieds. c’est là que se fait le transbordement, à l’abri du vent.
On accostera au sud, la plage est praticable. Au soleil levant, Matériel, fourrage, provisions sont déplacés vers la yole attachée à tribord
les chevaux sont soulevés un à un et mis à l’eau à l’aide d’un tourmentin. Philippe a la charge de les maintenir tranquille jusqu’à la plage
Le marchand rencontre son élève sur le pont. » Ma Dame, je souhaiterai vous offrir deux cadeaux, tout d’abord ce tube de bambou qui contient les patrons de toutes pièces de vêtements qui peuvent servir à une dame dans le grand monde, ensuite ce ballot de peau d’agneau retourné qui contient une cape que j’ai cousue pour vous ces derniers soirs, du lin vert sombre très serré protège de la pluie, doublé de soie vert clair étanche au vent. Seize morceaux de chaque tissus d’une toise de haut avec une ample capuche. j’ai fait une semblable pour Piccarda de Bueri pour son mariage. Elle vous sera précieuse, veillez à ne pas la tacher de sang ni la trouer » finit-il avec un sourire entendu et complice
Elle remercie d’une courbette. Tout le monde monte à bord, les cavaliers sont mis aux rames, l’invitée est à l’avant, les chevaux derrière.
le navire navigue à la marée montante, dans le courant et le vent résiduel, puis contourne l’île par l’ouest, ses voiles se gonflent, il accélère.
Arthur : Nous avons rendez-vous avec l’Irondelle dans une semaine.
Bertrand : peut-on avoir confiance en quelqu’un qui omet le H
Frédérick : je crois que je viens de lire la mouette bleue à l’arrière du navire.
Arthur : Il sait que ma bourse est presque vide. Il ne reviendra peut être pas, il nous reste au moins une semaine de nourriture, pour nous et nos montures, d’ici là continuons notre quête.
Le soleil se lève, la lumière blanchit, révèle le contour de l’île émergeant de la brume, les quatre cavaliers souquent ferme dans la marée.
Ils voient apparaître des sommets de près de deux milles pieds, prolongés jusqu’à la mer par des falaises battues par les vagues et le flot.
Ils contournent l’île par la coté éclairée au matin, avant d’arriver au sud, où un coin abrité de grève est abordable pour leur embarcation.
Philippe prend pied sur l’île, puis détache un à un les chevaux de la poupe pour les attacher à la proue, puis il guide les montures qui tirent la yole. Les chevaux de guerre, contents d’être enfin sur la terre ferme, hennissent de joie, en tirant la yole plus haut que la ligne de marée haute.
Philippe détache les chevaux, les amène à la rivière, les lave avec un seau en cuir et du savon et des brosses, nécessaire après une semaine dans une cale et deux heures dans l’eau de mer. Il graisse leurs fers pour prévenir la rouille.
Les autres font l’inventaire du chargement de la yole, rangé à la proue sous une toile cirée
Cent bottes de foin, une caisse de carottes, une autre de pommes, un sac d’un setier d’avoine, deux tonnelets de vin, un baril de lard salé, un autre de biscuits de mer, une jatte de beurre, peu pour une semaine, mais le fourrage prenait toute la place et les chevaux sont précieux.
La yole est équipée de six rames, d’une mâture non monté, et de deux voiles et des bouts nécessaires dans un coffre qui renforce l’étrave.
Chacun boit à la rivière et mange quelques biscuits et du lard. les chevaliers s’équipent de leur armure, armes, équipements et provisions.
De la grève couverte de galets, monte un chemin semé de cailloux, marqué d’ornières et de trous, qui doit être un torrent par grosse pluie.
Ils tiennent leur chevaux par la bride et commencent à monter vers le plateau. Chargée légèrement, elle les dépasse vite et marche en tête. Deux mains grises minérales sortent du roc, lui attrapent les chevilles et les broient dans un double craquement sonore. Elle tombe assise. Elle sort ses dagues et frappe simultanément chacune des deux mains qui lâchent prise et disparaissent dans le sol dur. Elle range ses armes. Elle remet un à un les morceaux d’os en place, masse ses pieds, ses compagnons s’inquiètent, se relève quand l’enflure violacée disparaît.
Frédérick inspecte le chemin, trouve auprès d’elle des éclats de pierre grise, fragments de la créature, différents de la rocaille noire.
Bertrand : j’ai cru que vos pieds étaient cassés, quelle chance, il m’aurait fallu quatre semaines au moins pour vous soigner et limiter l’infirmité.
Ils reprennent leur marche, les épées et les dagues au clair et atteignent un plateau pentu aride avec des touffes sèches et une herbe rase. Il y a des buissons torturés par le vent mais pas d’arbre. Plus haut, un champ de ruines, des colonnes étêtées, des murs écroulés et des gravas.
Vigilants, ils passent deux heures à grimper la pente avant de laisser paître les chevaux au pied d’un mur moussu ceinturé d’herbes grasses
A l’intérieur d’un ensemble de colonnes, au milieu d’un toit écroulé ils découvrent un autel de pierre brisé qui laisse deviner un escalier souterrain.
Elle sent une odeur animale inconnue et perçoit une multitude de petits cris aigus et suraigus. Arthur et Philippe dégagent les gros morceaux de l’autel. Ils découvrent des marches humides, encombrées de gravas et de filaments de champignons, trois grosses chauves souris sortent des ténèbres.
Bertrand : il n’y a pas de bois sur cette île, pour se chauffer et cuisiner, peu de chose pour éclairer, heureusement que j’ai une lanterne.
Arthur : Je n’envisage pas de craindre de grands prédateurs, pas besoin de feu pour éloigner les animaux. On doit pouvoir chasser du gibier, des oiseaux de mer, des lapins peut être. Nous essayerons de trouver du bois flotté pour faire du feu et améliorer notre ordinaire. Descendons voir. L’objet de notre quête est forcément caché quelque part, il doit rester une construction souterraine ensevelie ou cachée sous les décombres.
Ils descendent, d’abord Arthur puis Philippe armés tous deux d’épées et d’écus, casqués, visières rabattues, ensuite la Dame, les mains vides. Bertrand avec sa lanterne portée haut de la main gauche, son épieu prêt à frapper dans la droite. Frédérick ferme la marche avec son arc.
L’escalier descend d’une trentaine de marches, encombrées au début, de plus en plus glissantes vers le bas puis un couloir humide et étroit. Ils arrivent dans une salle de forme oblongue partiellement creusée dans une roche volcanique, le plafond est haut et couverts d’aspérités.
Une nuée de chauve-souris tombe du plafond et tente de mordre, une douzaine vise la peau nue. Les chevaliers, armurés et casqués y échappent. Elles mordent la chair puis tombent inertes, leur gueules bouillonnantes et fumantes. Elle essuie vite ses blessures sur ses bras et ses jambes et son cou avec son chiffon gris. Bertrand, qui voit la scène de près et en pleine lumière, blêmit, se signe et en appelle à la Sainte Mère. Les morsures disparaissent vite.
Arthur et Philippe s’avancent et massacrent les volatiles. Les dernières s’enfuient par l’escalier. Les héros reprennent leur souffle en cherchant une autre menace. Deux chevaux hennissent, Philippe ressent leur peur et colère. Ils rebroussent chemin, les chevaux sont agités, celui d’Arthur a la bouche ensanglantée, une énorme chauve souris broyée sous ses sabots antérieurs. Deux autres grosses chauves souris sont collées au flanc de chevaux, suçant leur sang. Philippe les ôte en douceur une à une, et les piétine. Les dernières cherchent un abri dans les ruines. Frédérick en abat deux, en plein corps, prenant soin de protéger ses flèches de la chute. Les trois dernières, les plus petites, partent au nord, disparaissent derrière une crête.
Frédérick : qui veut manger de la chauve souris ? Bouillies ou en brochette ?
Philippe : Plus tard peut être si on arrive à faire une cuisson appétissante.
Philippe soigne les chevaux blessés, rince la bouche du destrier d’Arthur, qui n’est pas blessé, a tué l’animal.
Après avoir rassuré les chevaux, changé leur zone de pâture, ils reprennent l’escalier, le tunnel et se retrouvent dans la caverne creusée.
La lanterne, portée au centre par Bertrand, chasse l’ombre, éclaire les murs, révèle deux niches creusées de taille humaine de chaque coté. La salle est tiède et sèche et un courant d’air monte vers l’escalier. Le sol est recouvert de guano de chauve souris, en tas vers le centre. Dans chaque niche, le corps d’un homme chauve de près de sept pieds, la peau comme du vieux cuir noir tout plissé et desséché, les yeux clos. Chacun est debout, adossé au mur, ses mains sont posées sur son ventre creux, équipé d’une armure partielle en cuivre rehaussé d’électrum. Ses reins sont ceint d’une étoffe aérée jaunie par les ans. A sa ceinture, deux épées bizarres de quatre pieds en bronze décorées d’électrum droites sur deux pieds, dont un pour la poignée, puis courbe sur deux pieds. Ses traits sont paisibles et harmonieux, figés dans la mort. Les quatre corps se ressemblent étrangement et bien qu’ils soient secs comme des saucissons, sont très bien conservés. Bertrand les regarde. Arthur arrive à l’extrémité de la salle devant un couloir taillé dans la roche quand quatre paires d’yeux s’ouvrent et les corps grincent. Les yeux sont d’un bleu intense et émettent leur propre lumière, chacune des mains attrape l’épée du coté opposé et la brandit. Ils avancent.
Chacun des corps animés s’oriente vers Arthur et avance vers lui. Ils patinent un peu dans le guano. Arthur fait face au début du couloir.Philippe se place derrière le plus proche, assène un puissant coup en travers de l’épaule, plie l’épaulière de cuivre, rebondi sur la chair. Son adversaire se retourne et le frappe de ces deux armes, Philippe Pare de son écu et de son épée longue dans une gerbe d’éclats de bronze.
Bertrand pose sa lanterne qui jette des lueurs basses sur la scène, se place sur le chemin d’un mort avec son épieu tenu ferme à deux mains. Ce dernier, sans le voir, avance vers Arthur, s’enfile l’épieu sous le sternum, avance avec difficulté, poussant Bertrand, labourant le sol. Elle avance de trois pas, dans le dos d’un des corps, sort une dague, s’accroupit, lui tranche les tendons d’Achille à la base des mollets, Elle se relève et le pousse d’un puissant coup de pied, il tombe sur les coudes, rampe lentement vers Arthur. Frédérick tire deux flèches, dans le dos du seul qui approche vers Arthur, sans grands effets à part deux légers vacillements lors des impacts. Ses flèches propulsées par un arc de cent quatre vingt livres pénètrent peu dans cette chair très sèche et très dense, comme dans du chêne ou autre bois très dur.
Le dernier arrive vers Arthur, lui porte deux coup, le premier paré avec le bouclier, le deuxième avec son épée. Arthur accentue son coup et brise l’épée à mi longueur avant l’amorce de la partie courbe et tranchante. Sa propre épée est ébréchée par l’impact, sa main vibre encore.
Philippe prend de l’avance, frappe à nouveau sur l’épaulière gauche, la tranche et entame la chair déjà meurtrie, puis donne un grand coup de son écu dans le bras gauche de son adversaire qui lâche son épée. Ce dernier réplique du bras droit. Philippe se baisse mais est atteint à la tempe, bascule en arrière, son heaume vole vers la niche vide, mentonnière brisée. Il saigne abondamment et se rétablit genou à terre.
Bertrand, les bras gourds, ralenti toujours son adversaire, la Dame lui prête main forte en tentant la même manœuvre sur les jambes du corps en mouvement, la dague rebondit sur le premier tendon très dur dans l’effort mais tranche le second, stoppant le mouvement de la créature, qui se tourne, se libérant de l’épieu, frappant deux fois celle qui l’a blessé. Elle esquive le premier coup, le deuxième entaille son bras, jusqu’à l’os, éclaboussant son adversaire d’un acide qui commence à brûler les chairs et dissoudre le cuivre. Bertrand y échappe de très peu en reculant vivement. Elle vise la jambe valide de l’adversaire d’un violent coup de pied, il perd l’équilibre, tombe face contre le sol, chuintant et grinçant. Elle comprime la blessure avec son chiffon gris qui se délite dans sa main puis le jette.
Bertrand se retourne, va porter secours à Philippe. Il prend de l’élan, embroche son adversaire de face, le pousse contre le mur, se protège de la dernière épée, grâce la longueur de son épieu. Philippe se relève et frappe de toute ses forces sur la main qui tient l’épée de bronze, du plat de sa lame, et d’un choc sonore le désarme.
Frédérick tire une flèche dans l’épaule de l’adversaire d’Arthur, ralentissant son épée intacte, puis se rapproche de celui qui bouge au sol.
Arthur, la main encore douloureuse par le choc, cherche à désarmer son adversaire, suit l’exemple de Philippe, frappe très fort sur la main. Le mort lâche son épée, Arthur aussi et pare l’épée brisée de son écu. Il observe la situation dans la pénombre, cherche à voir si son équipe prend l’avantage.
Frédérick se fait attraper les pieds par le mort, décoche une flèche dans son cou au ras du casque, le corps lâche prise et cesse de bouger.
Elle va porter son aide à Arthur. Le premier a être tombé se relève vacillant, ses jambes à moitié réparées, Frédérick approche, le repousse. Il tombe à nouveau sur le ventre, Il bat des bras, ses épées de bronzes cognant le sol, et Frédérick lui décoche une flèche dans la nuque.
Bertrand continue à pousser le mort contre le mur, ancrant ses pieds dans le sol, arc-boutant ses jambes, le corps continue à regarder Arthur.
Philippe frappe à la tête avec son épée, le mort plaqué au mur, la lui séparant des épaules. La lueur bleue baisse d’intensité dans les yeux.
Arthur regarde son arme trop loin, son adversaire saisi son moignon d’épée de ses deux mains et frappe de haut en bas, de toutes ses forces, Arthur pare de son écu qui se fend jusqu’à son centre renforcé, et le soutient de son bras d’arme, arrête le coup à deux doigts de son front. Le fracas de la tôle déchirée emplit la salle et rebondit sur les murs. Son épaule gauche est démise par le choc, il détache rapidement les lanières du bouclier, ce dernier s’en allant quand son adversaire recule son épée. Arthur vacille et recule de deux pas dans le couloir, vers l’inconnu. Il lui reste l’épée amputée du Paladin, et une dague. Il sort la première comptant sur les restes de sa puissance légendaire pour survivre. Elle arrive dans le dos du dernier combattant mort-vivant, plante ses deux dagues à la base du cou. il se retourne et la frappe au nombril. Le sang jaillit, brûlant l’étoffe verte, l’armure de cuivre et la chair desséchée. Arthur frappe à la base de la nuque, terminant le travail des dagues, séparant la tête, la chair s’enflamme au contact de l’épée, la tête roule contre le mur, l’illuminant, le corps tombe sur elle.
Les quatre morts sont terrassés, Philippe ramasse son casque, découvre dans la lumière basse de la lanterne, des inscriptions dans la niche.
Ce sont des petits dessins mis bout à bout entre deux lignes horizontales. Sur la moitié haute de la paroi, les dessins sont haut d’une main. Sur la moitié basse, les signes sont haut comme le doigt. Il montre le mur à Bertrand qui vient voir, avec sa lanterne, une à une, les niches.
Bertrand : Chacune des niches contient les mêmes symboles, sauf quatre signes consécutifs différents sur la deuxième ligne. Je ne lis pas ! J’estime que cette langue vient d’une région à l’ouest de Jérusalem, il y a très longtemps. j’imagine que ces quatre symboles nomment quelqu’un, le mort. Ces créatures doivent être les gardiens de la salle ou du couloir dans lequel Arthur s’est engagé. Pansons nos blessures et restaurons nous.
Arthur : Retournons près de nos destriers, nous économiserons de l’huile. Mais éclairons le couloir pour nous faire une idée de ce qu’il y a.
Arthur prend la lanterne, retourne à l’entrée, là où il était quand les corps se sont réveillés. Il éclaire face à lui, illumine le couloir, et le fond d’une salle avec un seul meuble visible, un lutrin de pierre présentant un gros livre accroché par une grosse chaîne de bronze.
Arthur s’exclame enthousiaste : je pense que nous touchons au but de notre quête. Ce grimoire enchaîné doit être celui que nous cherchons. Il nous faut l’emporter ou le détruire pour ne pas qu’il tombe entre les mains du malfaisant qui le convoite. Ressortons dehors nous reposer
Dans l’escalier, la Dame annonce à ses camarades qu’elle a entendu une cloche. Dehors, le jour touche à sa fin. Ils déplacent les chevaux.
Ils montent un camp plus bas près de la rivière. La nuit, la Dame portant sa cape, étudie en détail l’anatomie des ailes des chauves-souris. Plusieurs perçoivent de légers tintements apportés par le vent d’est. Ils ne doutent plus mais s’inquiètent de navires près de la côte est. L’île n’est pas sur les cartes, et est peu connues des navigateurs, la présence de bateaux pendant leur séjour ne présage rien de très bon.
Au petit matin, Frédérick part vers l’est pour soulager ses entrailles. Se relevant, il aperçoit une voile dans les lueurs orangées du matin. Il se rapproche du bord de la falaise et trouve trois navires de guerre aux couleurs de l’inquisition à l’ancre à une encablure de la côte. Il court prévenir Arthur qui ordonne de lever le camp et d’en effacer les traces après un déjeuner expédié. Ils reprennent le chemin au nord.
Frédérick élimine les traces de leur passage. Philippe installe les chevaux dans un autre coin d’herbe drue à l’abri du vent. Ils descendent. Arthur devant, épée dans la dextre, lanterne dans la senestre. Ensuite Philippe épée et écu, la Dame, Bertrand épée et écu, Frédérick son arc.
Rien n’a bougé. Reste quelques lueurs bleutées dans les orbites des cadavres. Une tête toute seule, claque des mâchoires par intermittence. Bertrand, devant l’horreur du lieu, puisant son inspiration à travers les siècles, par delà la mort et le temps, déclame d’une voix lugubre « N’est pas mort ce qui à jamais dort, et au long des siècles peut mourir même la mort »
Arthur prend pied pour la troisième fois dans le couloir, accueilli par un vent tiède et sec. Le couloir fait environ vingt toises de long. Le couloir descend en pente régulière sur environ six pieds. Arthur entre dans une salle hémisphérique de douze pas creusée dans du basalte. Il avance au milieu de la salle. Le plafond est lisse, piqueté d’étoiles dorées et argentées, des douzaines de constellations sont tracées. Chacun entre et admire ce plafond merveilleux, plus vrai que nature qui luit grâce à la lanterne. Le couloir est au sud, le lutrin au nord. Six autels de basalte tachés de sang séché sont répartis sur le pourtour de la salle, rajoutant une ambiance lugubre et désagréable au lieu.
Frédérick regarde le plafond une minute et dit : c’est criant de vérité et on dirait le ciel de la nuit passée, assez détaillé pour y croire.
Bertrand examine le tour de la salle et trouve vingt cinq tableaux à même la pierre douze à gauche, douze à droite, un en face du couloir.
Bertrand : Ces tableaux me font penser à ceux représentant le chemin de croix de Jésus vu dans une église chez les Franciscains. C’est une chronologie.
Arthur avance vers le lutrin sur lequel est posé le livre. C’est un volume de grande taille renforcé sur tous les bords avec du bronze épais. Les maillons de le chaîne sont long comme la main et épais comme le pouce. L’extrémité de la chaîne est scellée dans le sol sous le lutrin.
Arthur arrive à deux pas du livre qui s’ouvre et une mélopée se fait entendre. Une ombre brumeuse à forme humaine apparaît sur chaque autel. Les formes sont allongées comme si elles avaient dormi là, mais ne tardent pas à s’élever dans les airs et à vouloir s’approcher des hommes.
Une ombre va vers Philippe, une autre vers Frédérick, deux vers Arthur, autant vers Bertrand. La Dame n’est pas attaquée par ces créatures. Chaque ombre vise la tête. Ils esquivent de leur mieux. Leurs épées passent au travers des ombres sans effet visible. Arthur lâche son épée Il prend l’épée brisée, frappe et découpe un morceau comme s’il s’agissait de fumée. Bertrand verse son huile bénite dans son fourreau et rengaine son épée puis la ressort, laisse l’huile se répartir de la pointe vers la garde. Philippe s’enfuit. Frédérick, touché reste paralysé.
Arthur tente plusieurs coups de taille avec ce qu’il reste de l’épée du Paladin, enlevant de menus morceaux aux deux ombres qui l’attaquent. Bertrand esquive et tranche le bras d’une ombre. Le membre se dissipe. L’ombre qui a paralysé Frédérick rentre dans sa tête puis disparaît.
Philippe, dans sa course, traverse le tunnel et la salle oblongue et se retrouve nez à nez avec un groupe de piquiers qui descend l’escalier. Vingt quatre soldats et un officier, tous aux couleurs de l’inquisition. Ils se répartissent dans la salle, l’officier s’exprime avec force. « Au nom du Pape Benoît XIII, ce lieu et les objets qui s’y trouvent sont confisqués au bénéfice de l’église, les hommes arrêtés pour hérésie. »
La Dame agresse sans succès les ombres qui cernent Arthur, ses dagues passant au travers. Arthur attaque les ombres, ôtant des petits morceaux. Il commence à piger leur manière d’esquiver ses coups. Bertrand, exalté par ses adversaires, se bat comme un beau diable, les raccourcissant.
Frédérick ramasse l’arc et la flèche qu’il a laissé tomber plus tôt. Les piquiers investissent le couloir et font irruption dans la salle. Deux ombres, celle qui a fait fuir Philippe, et une de celles qui se collettent Arthur, foncent au plafond et réapparaissent vite à l’entrée.
L’officier répète sa phrase. Arthur le connaît de de vue, fils d’un maître d’arme, qui a fait son chemin au service des forces de l’église.
Les deux ombres tapies à l’entrée, prennent par surprise les deux derniers piquiers et rentrent dans leur têtes. Philippe s’enfuit à nouveau
Avec un seul adversaire, Arthur taille son ombre en pièces, la termine et vient en aide à Bertrand qui, seul a déjà bien entamé les siennes. A eux deux, ils finissent leur derniers opposants. L’officier n’a pas pris la mesure des adversaires surnaturels. Arthur tente de négocier. Les deux derniers piquiers reculent, foncent en avant, embrochent chacun trois de leur camarades, lâchent leur pique et attrapent une autre.
Frédérick, le regard mauvais, décoche deux flèches, visant Arthur, qui pare la première de son épée, Bertrand dévie la seconde avec son écu.
Les deux piquiers possédés reculent à nouveau, et partent vers l’avant, embrochant deux soldats chacun, puis ramassent à nouveau une arme. Le livre se ferme, s’ouvre à une autre page et un chant lugubre se fait entendre. Un léger rond de fumée horizontale part du livre, s’étend.
Arthur et Bertrand font face cote à cote, cherchant à faire le tri dans leurs adversaires : ami, soldats, ennemis, monstres. La Dame attend.
Les premiers piquiers blessés rendent leur dernier souffle au moment ou un arc ténu de fumée noire passe au dessus d’eux. Ils se réveillent.
Le chant s’intensifie. Les piquiers morts se relèvent, là deux brochettes de trois, les deux derniers s’équipant des armes qui les ont tués.
Le chant funèbre est très fort dans la salle ronde, il faut crier pour se faire entendre.
Arthur : NEUTRALISE LE LIVRE OU NOUS SOMMES PERDUS
La Dame se précipite sur le lutrin et ferme le grimoire avec difficulté malgré sa force peu commune. Le chant cesse, l’arc de fumée recule.
Frédérick tire deux flèches vers la Dame. Bertrand saute et en intercepte une avec son écu puis roule à terre. L’autre flèche atteint le cou.
Elle tient bon, ignore la flèche qui a transpercé son cou, sa gorge, est fiché dans le livre. Son sang coule le long de la flèche, la ronge.
Philippe dans son coin, voit la fumée refluer, les cadavres de chauve-souris cesser de s’agiter. Les géants noirs desséchés ne bougent plus.
Arthur s’avance pour porter secours aux piquiers, l’officier s’interpose d’un air menaçant. Bertrand se relève. Les piquiers morts attaquent
Le livre fume au contact du sang.
Frédérick se déplace et tire à nouveau visant chaque coude de la Dame. Les flèches traversent les avant-bras, sortant par les mains. Elle lâche sa prise, les flèches sortant d’une coudée de ses mains, les paralysent. Le grimoire s’ouvre et le chant recommence très fort.
Arthur court, saute sur Frédérick, le projette à terre. Bertrand accoure et s’assoit sur lui, attrapant ses poignets. Les morts attaquent.
Les piquiers vivants font volte face contre un danger plus grand, des morts et des possédés, la plupart terrorisés de voir ainsi leurs camarades.
Philippe voit les géants bouger à nouveau, prendre un à un le couloir, debout ou rampants. Les chauve-souris mortes suivent à petits pas.
Les morts prennent rapidement le dessus sur les vivants, les trois possédés ricanent. Le chant est tonitruant.
Les flèches tombent des mains de la Dame. Elle se baisse vers la chaîne, dont les solides maillons, longs d’une main, épais d’un pouce, luisent à la lanterne, en prend un en bouche. Elle claque sa mâchoire, croque, crache les morceaux, commence à aspirer la chaîne vers le grimoire, s’aide gauchement des coudes pour le fermer.
Seize piquiers foncent sur elle, armes en avant. Elle saisi le livre des coudes, aidée de la bouche, saute par dessus le lutrin au moment où les lames arrivent sur elle. Les premiers frappent la pierre, Les derniers l’atteignent aux avant bras et aux flancs, le reste est protégé. Adossée contre le lutrin, le grimoire ouvert contre le mur, sous un tableau représentant un livre, vingt cinq lanciers, l’île, trois navires
Philippe a vu plusieurs cadavres et morceaux de corps quitter le pièce. Le trait de fumée s’est éloigné dans l’escalier. Il y entend des petits chocs.
Arthur et Bertrand maintiennent Frédérick au sol. Arthur détache son baudrier, commence à lier son ami possédé. L’officier attaque les morts.
La chaîne avalée, elle porte le grimoire à sa bouche fermée, le trouve trop grand, un pied de large, moitié plus long, épais de cinq pouces. Bien trop large quand il est ouvert, pas facile à fermer. De ses coude elle apporte le long coté à ses lèvres, élargi son sourire, le rentre.
La moitié des morts l’attaque, les blessures sont superficielles, les fers fument. L’autre moitié recrute des camarades. L’officier est seul.
Bertrand finit de lier Frédérick. Arthur, l’arme brisée dans la main gauche, dégaine son épée, Téméraire, prend quatorze morts en tenaille.
Philippe, sans arme, voit arriver deux douzaines de chauves-souris mortes et les restes à moitié cuits d’un goéland, leur unique tentative de dîner chaud. Encore terrorisé par les ombres, il piétine les bêtes mortes, faisant sa part. De l’autre coté, la bataille fait rage, vingt quatre ennemis.
Elle claque des mâchoires sans succès, la douleur irradie de ses dents, pousse le livre contre le mur de toute sa force, il commence à plier. Le vieux mortier qui scelle au sol le lutrin commence à craquer. Les piquiers qui s’attaquent à elle jettent leur bâton, sortent les épées.
L’officier, blessé deux fois, qui se défend comme un diable, n’a pas l’habitude d’adversaires qui sont transpercés ou démembrés sans faiblir.
Elle referme le grimoire au moment ou le lutrin tombe, écrasant deux soldats morts, l’enfourne dans sa bouche et le tourne avec les coudes. Elle disloque sa mâchoire dans un claquement sec et avale ce gros morceau tout sauf arrondi, dilate son cou repoussant les os et les organes. Son pâle visage s’est coloré d’écarlate avec l’effort, un bouillonnement furieux fait place au chant funèbre tonitruant qui vient de cesser. Sa proie indigeste, bloquée par son bassin, tressaute, tente de s’échapper, des arêtes anguleuses déforment son ventre. Les morts s’écroulent. Une fumée verte nauséabonde s’échappe par son nez et ses oreilles. Le grimoire qui faisait près de la moitié de son poids cesse de se battre. Les possédés reprennent leur esprit.
Elle commence à guérir ses blessures. Une fois la gorge et la bouche grossièrement guérie, elle coasse.
La Dame : Je dois vous avouer, mes amis, que je préfère définitivement les petits cochons, plus agréables en bouche et bien moins fatiguant à digérer.
Arthur détache Frédérick et lui tend la main pour l’aider à se relever. Philippe rejoint tout le monde dans la salle circulaire et observe. L’un après l’autre, les deux soldats possédés émettent un râle d’agonie.
Bertrand : Ils portent de nombreuses blessures, trop et trop graves pour que je puisse les guérir, leur corps ont été poussés trop loin, trop longtemps au delà des limites humaines.
Bertrand soigne ensuite l’officier.
Bertrand : Monsieur, vous vivrez et retrouverez petit à petit l’usage de votre bras d’arme.
Arthur s’adresse à lui : Monsieur, je pense que vous veniez cherchez un grimoire maléfique qui n’existe plus. Vous avez vu le mal qu’il fait dans un endroit désolé, imaginez le dans une grande ville.
L’officier répond : Monsieur le Comte, je vous dois la vie, peut être bien plus. Je connais votre valeur. Je rapporterai à mon maître que ce livre n’était plus là et que mes hommes ensorcelés par l’endroit, pris de folie se sont entre-tués, je n’y ai réchappé que de peu par chance.
Arthur : Qu’il en soit ainsi, nous nous cacherons dans l’île en attendant votre départ. Transmettez mes salutations à Monsieur votre père. Faisons disparaître de ce lieu toute trace de notre passage.
Arthur ramasse son bouclier brisé, les éclats de son épée. Frédérick ses flèches. Philippe ramasse l’épée qu’il a lâchée apeuré et cherche sa dague qui lui a été confisquée. L’officier la trouve sur le corps d’un piquier. Bertrand jette un regard d’ensemble sur la salle et détaille les tableaux. La Dame ramasse les pièces du maillon brisé marqué par ses dents et les douze chauves-souris rongées par l’acide, profite d’être seule dans la salle oblongue pour épousseter et avaler doucement le goéland. Même dissous, le grimoire maléfique lui pèse sur l’estomac et un goût métallique et bizarre lui remonte à la bouche. Elle pense à la rivière pour s’y désaltérer abondament.
Bertrand appelle ses camarades, ils s’approchent.
Bertrand : Voyez ces tableaux qui représentent des scènes de la vie du livre, sa création, son usage, son installation sur l’île, le fait qu’on y abatte les arbres, peut être pour l’empêcher de s’enfuir. On y voit trois bateaux, vingt cinq lanciers qui prennent le livre, là l’océan, un fleuve, une île au milieu d’une cité et un diable aux pieds fourchus qui en prend possession. Dans les derniers tableaux, on voit la guerre, la guerre partout avec des légions aux crânes grimaçants. On voit un futur pour ce grimoire. Un futur que nous avons empêché, j’espère. Il est étrange que cette culture ancienne nous représente le diable tel que nous le connaissons.
L’officier : J’avais pour ordre de rapporter cet objet sur Paris, ce qui correspond bien à la ville avec une île, c’est à l’île de la cité que je dois rapporter mes prises, objets, et créatures. Je rapporterais les cadavres des géants qui s’empilent dans le couloir, et le lutrin.
Arthur : L’histoire future du livre ne mentionne pas notre intervention. Monsieur, le livre a sacrifié vos hommes pour nous empêcher d’agir. Il a vu sa perte et sacrifié le destin qu’il connaissait pour contrecarrer sa destruction qui n’était pas écrite. Nous connaissions le livre. Ceux qui l’ont mis à l’abri ici ne savaient rien de nous.
L’officier : Vous avez raison, mais il y a une escouade par navire, les suivants auraient pu être les vingt cinq de la prédiction pour l’emporter vers sa destinée. Je vais rentrer à bord et faire mon rapport. Les équipes viendront ramasser nos morts, les créatures et les preuves. Effacez les traces de vos chevaux et cachez vous jusqu’à ce que nous partions.
Bertrand vérifie l’état de ses amis, presque indemnes, ne s’étonne plus de la guérison miraculeuse de la Dame, qui se retrouve en guenilles. Elle profite de l’occupation des hommes et d’un coin tranquille pour se changer, ôte ses haillons dissous, enfile son avant dernière tunique.
Les cinq compagnons se rassemblent et préparent leur fuite. Le soulagement se mêle à l’horreur. La quête est achevée mais la convoitise pour son objet a causé beaucoup de malheur et de morts. Les trois navires sont encore là, seule une petite fraction de leurs occupants est arrivé.
Arthur : Il faut se mettre à l’abri quelques jours, se cacher peut être, pour laisser ces hommes constater l’absence du grimoire recherché.
Frédérick : allons au nord, derrière cette crête, nous serons sûrement à l’abri.
Philippe : espérons que notre solide embarcation est sauve.
Ils partent chercher les chevaux et prennent la direction du nord, à pied, les rennes en main. Frédérick part à rebours effacer leurs traces. Une demi heure de marche rapide et la crête est franchie. Devant eux, une large cuvette herbue, contenant deux petits lacs et deux étangs. C’est la caldeira d’un ancien volcan dont la paroi basaltique donne une herbe très riche d’un vert profond et des buissons à hauteur d’épaule.
Philippe : Nos chevaux ont de quoi paître, et s’abreuver pendant des mois, mais pas un arbre pour notre usage. J’espère du gibier pour nous.
Arthur : Cachons nous quelques jours, derrière cette petite colline entre les lacs, nous serons invisibles des regards portés de la crête.
Bertrand à la Dame sur le chemin de leur cachette : Grand admirateur de la pensée de Thomas d’Aquin qui dans votre cas se trompe doublement. Pour lui, la femme est un être occasionnel et accidentel, mais votre présence parmi nous est providentielle, il aurait fallut un terrible brasier pour anéantir ce maléfique grimoire. Tout au plus nous aurions fait un bûcher qui n’aurait pas suffit en sacrifiant notre forte yole. Il trouve que en tant qu’individu, la femme est un être chétif et défectueux, mais vous êtes plus résistante et forte que nous, chevaliers. Depuis la digestion du livre, je louerais chaque jour le destin, votre créateur pour vous avoir mise sur notre route, et mon seigneur Arthur pour avoir eu le bon goût et la générosité de vous inviter. Nous vous devons certainement la vie et à coup sur la réussite de notre quête.
Frédérick, après avoir effacer leurs traces s’arrête à la crête porte son regard au sud, voit la mer et une île distante de plusieurs lieues. Le brouillard lors du débarquement, puis leur empressement par la suite, les ont empêchés de prendre conscience de l’autre île, très verte. Frédérick s’allonge au ras de la crête, appelle ses amis, plisse les yeux. Il découvre une île montagneuse plus haute et couverte d’arbres. Les autres s’approchent, ne laissant passer que la tête, et regardent l’île.
Arthur : celle-ci à l’air plus accueillante, couverte d’arbres.
Bertrand : Par un simple calcul avec ces deux sommets plus hauts, je pense que cette île est à cinq lieues d’ici, donc quatre lieues du bord.
La Dame : je dois pouvoir franchir la distance dans la journée, en partant au petit matin aidée de la marée descendante, sous l’eau au début pour me cacher à leur regards.
Arthur : je crains pour notre yole proche du seul endroit où débarquer, qui signale notre présence où au moins notre passage, et nous permet de quitter l’île. Il faut aller cette nuit voir si notre embarcation est abîmée, avec le projet de traverser dès le départ de l’inquisition.
Bertrand : Abandonnons-nous l’idée du retour de la Mouette Bleue d’ici quelques jours avec du fourrage, des vivres et un retour en Bretagne.
Frédérick : J’irais voir notre yole à la tombée de la nuit, avec un équipement léger, juste mon gambison. Si la Dame veut bien m’accompagner.
La Dame : Je vous accompagnerai dès la tombée de la nuit et j’emporterai ma cape. Au retour, je porterais le reste de nos provisions.
Ils s’installent derrière la colline, attachent les chevaux de façon à les cacher, leur fournir une pâture, leur rendant accessible le lac.
Ils dînent, se reposent en attendant la tombée du jour. Entre chien et loup, Frédérick et la Dame se préparent. Le premier avec son gambison, son baudrier avec son épée, sa dague, son arc et son carquois et seulement six flèches, la Dame complétant son ordinaire de sa cape chaude et sombre.
Ils font un détour par l’ouest pour éviter les ruines, puis une sente les amène à la rivière, ils traversent à gué, à la clarté des étoiles.
Leur chemin les amène sans encombre à leur yole. La Dame repère une douzaine d’odeurs inconnues et le sol piétiné autour de l’embarcation.
Le foin est bien là, mais il n’y a pas trace des rames, du mat, des voiles et des cordes. Ils discutent à voix basse cherchant une solution.
Frédérick inspecte le bordage de ses mains et n’y trouve pas de brèche. Elle observe le plus proche des navires, le trouve garni de cordes.
la Dame : Je propose d’aller chercher une longue corde sur ce navire, marchant sous l’eau jusqu’à sa chaîne avant, y grimper et me servir.
Au pied du mât je vois plusieurs rouleaux de cordes. Frédérick porte son regard sur le navire, distingue nettement ses fanaux mais pas plus.
Frédérick : Il fait nuit noire, je n’y vois pas grand chose. Je vais grimper d’une centaine de pieds avec mon arc, prêt à tirer au cas où.
Elle confie sa cape, franchit à quatre pattes la distance jusqu’à l’eau, prend une longue inspiration et disparaît. Il grimpe avec les mains
A croupetons à un endroit qui le camoufle, il observe le navire, voit sa chaîne avant enfler près de l’eau, et monter cette excroissance.
Forçant ses yeux à percer l’obscurité, il voit une ombre occulter un écubier puis l’excroissance redescend la chaîne et se mêler à l’océan.
Malgré sa bonne cachette, elle le rejoint avec un rouleau d’une corde solide d’une trentaine de brasses. Ils reprennent le chemin à l’envers
Le ciel s’est couvert, les astres cachés ne donnent presque plus de lumière, elle lui tient la main souvent pour le guider. Il tombe à l’eau lors du passage à gué de la rivière. Il est trempé et elle est sèche. A leur retour au camp au petit matin, il est emmitouflé dans sa cape.
Ils partagent un repas sommaire, accompagné de vin chaud. Frédérick se réchauffe et essore les vingt couches de lin épais de son gambison.
Arthur planifie le départ, inclut la perte du matériel nautique, content d’avoir cette corde. Philippe réfléchi au transport des chevaux.
Philippe : Les chevaux, incapables de régurgiter, ne doivent absolument pas boire l’eau de mer. Ils nagent bien mais tournent difficilement
Ils peuvent nous suivre mais pour une longue traversée, au minimum il faudrait leur maintenir la tête dans la barque, pour éviter le pire.
On peut rembourrer l’arête du plat-bord avec nos couvertures pour le confort des chevaux. Arthur : Il faudra faire attention à l’équilibre.
Chavirer nous fait risquer de tout perdre. Nous arrimerons les armures, armes, provisions au fond de la yole ainsi que des pierres plates.
Philippe : Nager quatre lieues serait un exploit pour nos chevaux, comme pour nous. Il faut s’assurer que l’île voisine soit accueillante. Dans le cas contraire, on peut les laisser ici, à l’abri, où le risque le plus important est un manque d’exercice, et revenir avec un navire si possible avant le début du printemps pour éviter que nos fiers destriers se goinfrent de jeunes herbes et soient atteint de fourbure.
Bertrand : Je vais préparer des herbes pour les soigner, des feuilles séchées de bouleau, ou de cassis ou groseille, ou du gaillet gratteron.
Chacun se prépare et Bertrand continue les soins des plaies et bosses récoltées par ses camarades lors des combats et s’adresse à la Dame :
Je suis heureux de votre guérison stupéfiante. Je pratique la chirurgie depuis longtemps malgré l’église car «Ecclesia abhorret a sanguine»
J’exerce sur le champs de bataille, les flèches sont souvent difficiles à retirer, surtout celles de Frédérick et leur évulsion de vos bras n’aurait pas été une partie de plaisir, ni pour vous, ni pour moi. L’Ordre a la médecine en haute estime, abhorre les métiers du sang. Pratiquant la médecine comme la chirurgie et le port de l’épée, mon ordre me priva de ma fonction de diacre. Depuis je suis le précepteur et la caution morale des trois jeunes chevaliers qui m’accompagnent. J’ai largement l’âge d’être leur père et c’est en fils qu’ils m’ont suivi.
Cette quête, caprice du destin : un messager trempé comme une soupe me fit recopier d’urgence une lettre mouillée avant qu’elle ne s’efface.
Y étaient relaté les informations qui nous ont permis d’arriver avant l’inquisition. C’est la peur pour sa vie, qui a fait venir ce messager. Je ne sais pas qui est le maître de ce messager, mais il en avait peur comme du diable, je suis loin d’être sûr qu’il soit encore en vie.
Le soleil se lève, elle se met en route. Arthur lui confie un petit tonnelet vide fermé pour faciliter la flottaison et réduire la fatigue.
Elle longe la falaise, accompagné de Frédérick, surveillant les navires, à l’affût d’activité, descend dans une crevasse, franchi la grève à quatre pattes, fait signe que tout va bien et s’immerge en silence. Elle marche trois encablures au fond avant de grandir jambes et tronc.
La tête hors de l’eau entre deux vagues, le courant dans son dos, elle marche vite vers l’île, s’agrandit un peu plus quand c’est nécessaire.
A marée basse, elle ralentit, aperçoit une forme très effilée, un grand requin bleu qui semble l’observer de loin après avoir avalé un thon.
Elle reste sous la surface pour mieux l’observer, s’approche en continuant sa route. Il est accompagné de deux petits poissons rayés de noir
Il est curieux et s’approche, elle l’accueille d’une caresse sur le nez et continue sa route. Il la suit quelques temps puis s’en va au loin.
Après deux heures et une lieue, le fond étant trop bas, plus de six toises, elle reprend une taille normale, nage, encombrée par le tonnelet.
Six heures de nage et une lieue parcourue lui permettent de pousser au fond par intermittence et d’aller plus vite. Elle aborde enfin l’île
Elle profite des derniers rayons solaires du crépuscule pour monter en haut d’un grand arbre et observer l’île où sont resté ses compagnons.
Elle explore l’île pendant la nuit, la trouve giboyeuse, couverte d’une végétation luxuriante parfumée et fruitée mais ne voit pas d’herbe.
Elle mesure les arbres en s’agrandissant, les grands font dix toises de haut, deux fois sa taille, embrasse les troncs pour mesurer le tour.
Sans avoir besoin de beaucoup s’allonger les bras sauf pour trois vénérables placés sur un versant abrité. Les animaux sont peu farouches.
Elle goûte un gros oiseau dodu au plumage bleuté, qui est bon dans l’ensemble mais un peu sec avec ses plumes abondantes, laissant sa gorge altérée. Elle croque dans plusieurs fruits mûrs sucrés et désaltérants et s’abreuve à un ruisselet chantant.
Son ascension lui fait découvrir un ensemble de quatre lacs dans une grande cuvette, une caldeira plus grande que sur l’autre île mais pas d’herbe. Elle marche toute la nuit.
Puis se repose au matin. l’île est grande, elle partira le matin suivant. Partout sur l’île où buissons et arbres laissent le sol découvert. Un lichen, épais par endroit d’un pied, couvre la terre. Elle lui trouve un goût amer, doute que cette nourriture soit appréciée des chevaux.
Elle ouvre le tonnelet à la pointe d’une dague y roule une feuille longue de six pieds, un échantillon de lichen. Elle complétera de fruits. Elle parcourt l’île à la recherche de tout ce qui serait utile à ses camarades. Eau nourriture matériaux, conforts, abris. Elle, vit de peu.
Après un jour et deux nuits, elle est prête à traverser à la nage les quatre lieues qui séparent les deux îles, un large échantillon récolté.
Elle part à l’aube, le jusant poussant son dos, cherche une route qui lui permet de marcher le plus longtemps possible, nageant le plus tard
Elle met la journée pour traverser, rencontre à nouveau le requin bleu qui la suit jusqu’à la plage. Les navires de l’église sont absents.
Abordant la grève, elle trouve deux marins morts, le corps bouffi par l’eau, le bas des jambes noires et les pieds broyés appâtant le requin.
Elle se souvient des deux mains noires minérales qui l’avaient attaquée, sortant du sol, lui cassant les chevilles, disparues après riposte.
Elle démonte, membre par membre, le plus abîmé et offre les morceaux au requin et va cacher l’autre à l’eau sous une grosse pierre plate.
Elle quitte la mer et prend le chemin caillouteux qui monte vers le plateau. Le soir tombe et il fait nuit quand elle a rejoint la caldeira.
Elle arrive au campement derrière la colline, trouve trois amis endormis, surprend Philippe qui monte la garde mais ne l’a pas vue approcher.
Philippe réveille les autres, rallume un petit feu de brindilles pour faire un peu de lumière. Ils échangent les évènements des deux jours.
Les quatre compagnons chevaliers sont restés tapis et cachés, observant les navires d’un coté et les mouvements dans les ruines de l’autre.
Les trois bâtiments de guerre sont partis après avoir mis en caisses, embarqués les cadavres des Gardiens et leurs hommes morts par le livre.
Ainsi que le lutrin, les six autels de basalte, les tableaux de pierre et quelques morceaux de murs écrits ou dessinés, des copies au fusain.
Ils ont pris la mer ce matin peu après le lever du jour après avoir jeté des déchets divers. La Dame évoque les marins morts trouvés le soir, le requin bleu et son souper, puis décrit l’île en ouvrant son tonnelet, montrant ses échantillons, narrant l’abondance de fruits et fleurs, le gibier que les hommes pourraient trouver à leur goût, la taille des arbres, les grottes et cet épais lichen qui partout remplace l’herbe.
Les chevaliers ont profité de la plage libre pour faire une récolte copieuse lors d’une pêche à pied. Ils ont dîné et soupé, sont revigorés.
Ils partagent les restes de leurs fruits de mer en goûtant tous aux fruits sucrés de l’autre île et tirent des plans pour le futur de chacun.
Philippe : les chevaux n’auraient très peu à manger sur l’autre île, prendre le risque de les faire traverser pour les empoisonner ensuite, il vaut mieux les laisser dans la caldeira, avec de l’herbe et de l’eau à foison. Il serait bien de les remporter avant la fin du printemps.
Bertrand : Si le capitaine du navire tient parole, il sera là dans deux ou trois jours, je pense qu’il ne faut pas partir avant quatre jours
Arthur : Au matin dans quatre jours nous chercherons une voile à l’horizon, et nous prendrons la mer si il n’y a rien, d’ici là repos.
Frédérick : J’espère que parmi le gibier de l’autre île, il y a des lapins, des lièvres, pour nous donner de bons rôtis vu qu’il y a du bois.
Bertrand : Même dans le royaume de Grande Bretagne, les lapins existent car les romains les ont apportés pour leur usage et ils sont restés.
Philippe : on rôtira tout ce qui se mange rôti. Nos provisions s’épuisent. Si le navire ne vient pas l’autre île nous offrira ses ressources.
Après une nuit tranquille, dès l’aube chacun se lève, Bertrand commence par sortir sa bible et lit un passage en silence, la Dame s’approche.
La Dame : Si vous le souhaitez Bertrand, je peux manger ce livre aussi si c’est utile, il est beaucoup plus petit et passera plus facilement.
Bertrand : Surtout pas c’est mon bien le plus précieux, il n’est ni malin ni mauvais de lui même. Pourtant certains en font un mauvais usage Je vous propose de le lire, il est écrit en latin, de vous apprendre à le lire si vous ne savez pas lire cette langue. Mais Savez vous lire ?
La Dame : Je ne sais pas. Je ne sais pas si je sais lire. Je veux apprendre le latin et lire ce livre puisque c’est vous qui le conseillez.
Bertrand lui donne des rudiments d’alphabétisation et de latin explicitant les déclinaisons. Elle lit très lentement au début, avec son aide les premières pages de l’ouvrage, puis lui emprunte. Ensuite elle continue seule, lisant laborieusement, s’aidant d’un doigt puis plus vite. les mots latins s’impriment dans son esprit comme si ils y avaient déjà leur place. Quand il va dormir, elle lit vite à la lueur des étoiles. Elle termine à l’aurore. Peu de passages font sens pour elle moins à cause de la construction du latin qu’à l’ensemble de concepts étranges. Son expérience humaine se compte en jours, elle a compté quatorze aubes, et n’a aucun souvenir d’avant. Elle a vite compris la faim, la peur la propriété, la générosité, la camaraderie et le danger. Elle a senti la peur et la mort des autres. Il lui reste encore beaucoup découvrir. Manger deux livres, l’un avec la bouche, l’autre avec les yeux n’est pas assez pour comprendre le monde, avec une nette préférence pour lire. Elle rend son livre à Bertrand quand celui-ci se réveille et lui explique qu’elle a tout lu mais que la majorité lui est restée étranger.
La Dame : Il y a beaucoup trop de malheur distribué sur tout et tout le monde, souvent pour des raisons bizarres, loin de la bienveillance.
Bertrand : Ce livre est notre histoire, mais qu’est ce que l’histoire ? C’est l’histoire de nos malheurs. C’est l’histoire de nos crimes. En effet qu’est ce que l’Histoire ? Que retient l’Histoire ? Elle retient que rois et peuples se faisaient la guerre et se tuaient entre eux.
Le débat se poursuit lors du petit déjeuner autour du feu Bertrand cherche à organiser ses penser et se mettre à la portée de la jeune femme.
Bertrand : Mes longues études ecclésiastiques me donnent les moyens de donner une réponse globale, le fait qu’on m’ait retiré mon ministère me donne le recul pour penser librement. L’ancien testament, ses dix commandements a été balayé par Jésus qui n’a conçu que deux commandements. Voici le premier : le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur et Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme de toute ta pensée, et de toute ta force. Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. Marc12 : 29-31. De mon point de vue le deuxième est le plus important. Le premier commandement c’est pour l’humilité.
Ils devisent, il explique le tournant pris par les chrétiens en 325, Constantin se servant de la religion pour assujettir l’empire romain.
Elle retourne ensuite à la mer, voit un aileron au loin, remue l’eau et prépare un morceau de marin quand elle voit approcher le requin bleu Puis elle va voir Arthur et lui annonce qu’elle a peut être une idée pour tirer la yole plus facilement. Lui ainsi que Philippe et Frédérick sécurisent la caldeira pour un séjour des chevaux de plusieurs mois Ils éliminent les buissons probablement toxiques et les pierres pointues.
Elle attrape de grandes brassées de buissons et herbes à éliminer, sort de la caldeira, approche du bord de la falaise, sur un promontoire, les jette au loin, et les regarde tomber jusqu’à la zone de mouillage utilisée par les navires de l’inquisition. elle fait deux autres tours, observe chacun des morceaux tomber où planer à sa façon et heurter l’eau avec rudesse ou s’y poser en douceur. Elle les compare aux oiseaux, maigres ou dodus et aux chauves-souris. Elle voit un groupe de goélands se rapprocher des débris végétaux, et compare leurs différents vols. La plupart volent pour se nourrir, quelques uns sortent du lot avec un vol maîtrisé. Deux goélands volent en puissance et grâce jusqu’à elle
Ils ont franchi rapidement l’ascension des quatre cent toises du niveau de la mer jusqu’à elle. Le plus grand des deux la scrute intensément. Ils maintiennent un vol stationnaire plusieurs minutes à dix ou douze pieds d’elle, qui a l’impression qu’on essaie de lire dans son esprit. puis l’aîné se retourne replie en entier ses ailes, pique avec une accélération terrible vers les volatiles en quête de nourriture sur l’eau. Après avoir franchi verticalement deux encablures, il sort ses rémiges pour contrôler son vol, dans le rugissement du vent, puis deux autres, Il déploie en entier ses ailes avant de dépasser les autres oiseaux puis entame une boucle verticale, se pose au milieu d’eux pattes tendues sur le plus gros buisson. Le deuxième goéland quitte la Dame, effectue la même manœuvre avalant presque aussi bien les quatre cents toises. la Dame qui n’en a pas perdu une miette, admire la maîtrise du vol de ces deux oiseaux, imagine la chute et la force nécessaire pour freiner. Elle aperçoit un aileron, descend à la plage pour nourrir ce requin bleu familier. Afin d’économiser pour le départ, elle lui offre un bras. Ce marin est entamé par divers crustacés, crabes et langoustes qui refusent de lâcher leur dîner, elle les rassemble tous par une patte, et lance le bras dans la direction du requin, puis remonte au camp avec sa pêche miraculeuse, n’ayant pas trop de deux mains pour tout tenir.
Ils partagent un dîner composé de leur provisions et de la pêche et discutent de leur retour au royaume de Bretagne et de la route à suivre.
Après une nuit calme, ils s’occupent des préparatifs. Frédérick taille des flèches rudimentaires et tire à vue sur toutes les chauves-souris. Arthur et Philippe clôturent l’entrée de la caldeira. Bertrand récolte des herbes médicinales avec la Dame, donnant pour chacune nom latin et vernaculaire. Elle retient facilement les noms, propriétés et préparations. Elle les hume et les goûte, associant le tout dans sa mémoire. Il lui montre des herbes utilisées lors des soins après les combats, dont il ne reste plus que des miettes. Elle parcourt l’île, concentrée sur son odorat et rapporte deux variantes locales, qui vont combler une partie des plantes manquantes. Bertrand s’émerveille en silence et prépare les herbes pour les conserver. Les cinq déjeunent et dînent de chauve-souris grillées agrémentées d’herbes locales et de coquillages. Au quatrième matin, dès l’aube ils sont tous prêts, ayant partagé leur dernières provisions entre les trois repas de la journée, comptant sur l’île voisine ou sur le navire qui doit arriver. Ils descendent à la yole, vérifient sa coque. Arthur fait un bon nœud à la proue, un autre coulant qu’il confie à la Dame. Tous aménagent le passage de la yole sur la grève, puis à moitié soulevant à moitié poussant la mettent à la mer. Les quatre chevaliers embarquent, la Dame avance en mer, tenant l’extrémité du cordage, remue l’eau, guette l’horizon à la recherche d’une voile au loin ou d’un aileron, qu’elle finit par apercevoir. Elle s’adresse aux hommes et leur explique qu’elle va tenter de les faire remorquer par un requin bleu amical et qu’elle avait gardé à cette fin les restes d’un marin mort, l’un des deux tués par les mains noires.
Elle libère le tronc du marin, récoltant au passage trois douzaines de crustacés qu’elle nettoie et jette à bord. Ce qu’il reste de l’homme n’est pas beau à voir. Elle l’attache solidement entendant dans la barque quelques hauts-le-cœur. elle caresse le nez et les ouïes du requin qui se frotte contre elle. Arthur estime l’animal à quatorze pieds de long et observe son profil effilé se dit qu’il doit nager à la vitesse d’un cheval au galop. La Dame présente le tronc, qu’il goûte, court dans l’eau penchée en avant la main gauche serrée autour du cou décharné La corde se tend et la yole démarre doucement. Les chevaliers s’assoient et trient les crustacés, Arthur placé à l’avant vise l’autre île et guide la Dame, qui ralentit à cause de l’inertie de l’embarcation, le squale démarre en trombe, se saisit du tronc et accélère, elle secoue le corps et s’oriente suivant les indications du Comte, la yole dépasse la vitesse que peuvent obtenir six rameurs et il faut peu de temps pour franchir une demi lieue. la mer est calme et la yole, bien conçue, file bien, l’étrave plongeant un peu. Le requin fatigué, s’arrête le temps d’une caresse, englouti des lambeaux de lard, puis repart à allure modérée. Ils parcourent trois lieues en trois heures consommant le tronc, le requin finit par partir vers d’autres occupations au moment où le fond remonte dans l’eau claire. La dame allonge son corps et prend appui quatre toises sous l’eau et marche vigoureusement, l’île se rapprochant rapidement. Deux heures sont nécessaires pour accoster
Arthur, s’adressant à la Dame : je vous félicite pour cette brillante idée, nager en nous tirant aurait été beaucoup plus long, les courants auraient pu nous porter loin de l’île. Nous voilà dans cette île qui pourvoira à nos besoins le temps de préparer notre longue traversée Tous les cinq tirent la yole haut sur la grève et commencent à découvrir l’île et leurs nouvelles ressources. Leur premier repas sur place, des fruits cueillis dans les premiers arbres et les crustacés, pris au matin sur l’autre île, au feu de bois . Ensuite chacun se met au travail pour préparer le retour au royaume de Bretagne. Philippe se met en quête de bois pour faire mature et rames. Bertrand se fait guider jusqu’à des arbres aux très grandes feuilles, qui découpées en lanières puis tissées feront une voile rudimentaire. Il cueille aussi des plantes médicinales. Frédérick chasse tout animal que l’on peut conserver par fumage et construit un fumoir sommaire dans une cavité aménagée avec de la glaise.
Arthur observe les astres et les vents pour tracer une route propice peu dangereuse en automne et travaille avec Philippe sur l’accastillage. Il se donne une semaine pour repartir, le temps d’avoir une embarcation navigante, des provisions d’eau, fruits et gibiers pour la traversée
Ils s’acquittent de leur tâches rapidement : la yole est matée, les oiseaux s’accumulent dans le fumoir improvisé, douze paniers fabriqués sont remplis de fruits juteux et sucrés. Bertrand, comme dans sa jeunesse à l’abbaye a pris la meilleure glaise pour faire de grande cruches Vingt sont allées au feu et seize en sont ressorties intactes, une cruche d’eau par jour pour eux cinq assez pour un automne, de quoi boire pendant une traversée pas trop longue. Le septième jour, un chemin est dégagée pour la yole qui est prête et tout est à bord pour le voyage. Chacun se repose pour un départ à l’aube le lendemain, Philippe flâne en pensant aux fiers destriers livrés à eux mêmes sur l’autre île, il trouve des traces faites par des chèvres et un vieux morceau de clôture, l’île était donc habitée.
Frédérick s’entraîne à l’arc sur longues distances.
Arthur espère qu’ils n’auront pas d’ennui lors de la traversée, la yole est trop petite.
Bertrand relit des passages en grec des dialogues de Platon, qu’il avait recopié dont des chapitres sur le courage, le beau, le bon, pense à la très belle femme aux pouvoirs étranges qui les accompagne et à l’Adversaire qui tire les ficelles dans l’ombre, qui est-il que veut-il ?
L’inquisiteur dans sa tenue rouge travaille sur un livre constitué de vingt cahiers de folios en vélin. Son écriture précise à la plume d’oie est couchée dans une langue qu’il a inventée afin de cacher ses secrets. Il brouille les pistes en posant sur la plupart des pages des illustrations de botanique ou d’astronomie. C’est le treizième livre de la série de ses écrits caché, qu’il avait commencé en novembre à vingt cinq ans après avoir aperçu la comète qui lui avait susurré des mots à l’oreille et qui n’a jamais cessé.
Il range son livre quand quelqu’un frappe à la porte. C’est l’officier qu’il avait envoyé chercher le grimoire. Il se présente à lui fatigué et meurtri, le bras droit en écharpe.
L’officier fait son rapport, raconte les voyages, les embûches, les créatures surnaturelles, les décès et les morts qui marchent et l’absence du grimoire.
Dès le départ, il lui adresse son intense regard inquisiteur et le voit fondre, sa voix et perd en assurance.
Après un regard très intense qui fait frissonner l’officier, il lui adresse un ordre
« Très bien capitaine, maintenant, dites nous la vérité. »
Cette injonction lui va droit au cerveau et contre sa volonté, d’abord balbutiant puis avec un débit fluide, il raconte tout pleurant de détresse et de rage.
A l’évocation d’Arthur Richemont, l’inquisiteur jusque là impassible, hausse un sourcil. Et quand le capitaine décrit une femme étrange et belle, qui a entre autres mangé le gros manuscrit qu’il était venu cherché, il sourit pensant qu’il avait retrouvé la trace de sa créature qu’il croyait morte.
« Capitaine, vous prendrez la tête de mes meilleurs hommes pour la direction de l’ouest, vous avez ordre de déployer sur toute la côte mes gens avec consigne d’intercepter et de m’amener ces cinq individus. Pour aiguillonner votre zèle et votre manque de fidélité, je vous annonce que je punirais vos manquements. Pour chacun de vos ascendants et descendants encore en vie, ainsi qu’à vous même, vous répondrez en fonction de la faute d’un bras, d’une jambe, d’un œil ou de la langue. » Il fit le geste de trancher le bras à l’épaule droite de sa plume d’oie. « Partez sur le champs »
L’officier quitte les lieux, l’inquisiteur verrouille son bureau, attire une chaise à gauche de la porte devant une tenture, soulève la lourde étoffe, découvre un miroir ovale dont le pourtour est richement décoré de formes animales et d’appendices de même nature. Il se concentre sur la surface, son reflet disparaît laissant la place à un brouillard gris puis à un visage argenté.
Il s’ensuit un dialogue inaudible d’esprit à esprit.
L’inquisiteur, par la menace, obtient des informations sur sa créature. Le miroir revient sur sa déclaration et confirme qu’elle a survécu, avalé le livre et gagné en puissance. Elle accompagne et renforce un groupe de chevaliers constitués du jeune Arthur Richemont, du diacre défroqué Bertrand Torreux du Guesclin et de deux jeunes noblaillons sans importance.
Ils sont en route vers la Bretagne à bord d’une yole de vingt huit pieds regrée par leur soin.
L’inquisiteur ouvre une armoire forte cachée derrière son siège derrière une tenture, dans une niche. Il sort une petite jarre de porcelaine opalescente. Il la tient fermement des deux mains et donne des ordres dans une langue gutturale puis l’ouvre dans l’âtre . Une fumée s’échappe en spirale et disparaît par le conduit.
Après trois jours de voyage sans encombre en direction du nord-est. La yole vogue bien et le mât est solide.
Le vent s’arrête d’un coup, brisant la routine. Le calme plat s’installe et ciel s’obscurcit trop rapidement. Un vent d’est se met en place, si violent qu’il faut se laisser porter ou chavirer.
Au milieu de la nuit, le vent redouble d’intensité, le mât vibre d’avant en arrière, la Dame s’y accroche pour réduire la vibration. Arthur, qui avait déjà réduit de moitié la voilure, l’affale totalement. Le mât continue à vibrer comme si quelqu’un le secouait sauvagement, se fend de haut en bas.
Bertrand croit entendre un ricanement et le signale puis le mât s’envole en avant emportant la Dame, fait plonger la proue de quatre pieds sous l’eau. Arthur brandit son épée sainte brisée, Philippe sort son épée.
La Dame amerrit avec le mât transformé en esquilles. Bertrand récite avec force et conviction des injonctions latines utilisées en exorcisme. Frédérick évacue l’eau de mer avec le seau et constate l’absence des cruches d’eau douce.
La Dame détache les précieux cordages puis nage avec vers la yole. Le vent baisse, laissant nettement entendre un long ricanement de dément. Elle remonte à bord. Ils font le bilan des pertes.
Bertrand : Plus d’eau douce, une partie des viandes fumées est imbibée d’eau salée, la récolte de fruits est intacte. L’immersion de la proue a englouti les cruches d’eau accrochées autour du point le plus solide, le socle du mât.
Il nous reste à espérer la pluie, cette nuit de tempête nous a envoyé trop à l’ouest. Notre seule source d’eau ce sont les fruits. Quelques uns par jour n’apportent pas assez.
Arthur installe une des six rames comme mat, une autre comme vergue et installe la moitié de la voile de feuille comme une voile triangulaire.
L’aube permet d’y voir plus clair sur les dégâts subis par la yole, outre le mat arraché, au niveau de l’étrave les bordées sont disjointes.
Arthur : nous allons transporté les choses lourdes vers l’arrière pour embarquer le moins d’eau possible, peut être calfater avec un linge.
Prenons le cap à l’est et accostons au plus vite sur la première terre venue, cette voile peut remonter un vent contraire et nous ramerons !
Arthur, à la barre, donne le cap, écopant quand c’est nécessaire, Philippe et Frédérick rament à l’avant, Bertrand et la Dame à l’arrière.
Quand le vent les pousse suffisamment, ils se reposent, dorment par deux, mangent des fruits et de la volaille, assèchent le fond de la yole
La Dame scrute l’horizon et le ciel sans nuage, un nuage gris spiralé et tournant se maintient très haut à la verticale de leur position.
Elle le montre, seule la vue d’aigle de Frédérick le distingue à peine. Plusieurs fois, ils constatent que le nuage maintient sa position.
Bertrand : Ce nuage est surnaturel, peut être la créature qui nous a attaqué. Son contrôle des nuages me fait penser qu’il a créé la tempête.
Peut être un ifrit un djinn, un esprit de l’air ou toute forme de ce genre qui n’apparaît plus aujourd’hui que dans les légendes d’autrefois.
Sans aucun désagrément, elle boit l’eau de l’océan et mange les viandes imbibées d’eau salée, leur laisse les fruits et les viandes saines.
Leur embarcation avance bien sur une ligne de foi imaginaire, faute de carte. Arthur estime avoir parcouru 70 lieues les deux premiers jours
Ils se protègent du soleil à l’aide la demi voile. Deux jours de plus sans pluie, sans nuage, ils ont franchi une bonne distance vers l’est,
Philippe ne se réveille pas au cinquième matin après la tempête il a trompé sa soif en mangeant plus que de raison, ramé fort avec Frédérick
Bertrand prend soin du jeune chevalier, le place pour qu’il supporte au mieux le reste du voyage et presse des fruits au dessus de sa bouche
Arthur : Nous allons ramer à quatre et ménager nos forces, la voile nous portera à l’est aussi souvent que possible et compter sur la chance
Frédérick voulant s’entraîner chaque jour pour ne pas perdre l’usage de son arc puissant, améliore l’ordinaire de poissons avec ses flèches.
Les poissons et quelques algues, moins salés que l’océan lui même, leur apportent un peu de réconfort. Philippe marmonne dans son sommeil.
Un vent d’Est se lève à la nuit, leur donnant une belle vitesse sous la voûte étoilée entachée d’un seul nuage, leurs yeux habitués comptent des milliers d’étoiles.
Chacun son tour, Bertrand, Arthur, Frédérick désignent constellations, légendes associées et leur utilité en navigation.
Elle veille à la barre, ils s’endorment. En milieu de matinée Bertrand s’éveille, trouve de la rosée qu’il éponge, essore dans la bouche de Philippe, puis presse à nouveau des fruits pour lui. Arthur peine à se réveiller, puis secoue sans succès Frédérick que Bertrand installe près de Philippe.
Bertrand : Nous ne tiendrons plus bien longtemps, mais pour la première fois j’ai vu de la rosée, les pouvoirs de la créature faiblissent.
Il nous faut positionner casques et plastrons ainsi que toute surface sur laquelle de la rosée pourrait se déposer, la faire boire au faible.
La Dame : Je veillerai sur vous jusqu’à la terre ou le moyen de vous sauver et vous partagerai l’eau douce d’où qu’elle vienne. Par contre mes pouvoirs ont disparus, plus moyen d’allonger bras torse ou jambe. Je me sens tout de même pleine de vitalité malgré ce régime très salé.
Bertrand s’adressant à Arthur : Monseigneur, prenez la barre, nous ramerons autant qu’il faut. Nous avons déjà couvert une bonne distance
Arthur sans parler, tient la barre, limitant sa fatigue. Bertrand devise gaîment pour cacher son embarras face à la faiblesse de son protégé.
Bertrand : J’ai la chance d’être résistant moralement et physiquement, j’ai développé cette capacité lors de mes études de novice à l’abbaye. Nous démarrions notre journée à une heure et demi du matin pour être libéré à sept heure du soir après études, prières, travaux des champs, maçonnerie, artisanat ou autre.
Souvent je traînais pour lire ou recopier pour mon compte des œuvres rares comme ces feuillets de l’Odyssée que j’avais emporté pour notre voyage. Je résistais biens aux privations.
J’ai démarré cette aventure en pesant trois cents livres, avec de la réserve, je tiendrais bien un jour ou deux de plus, le temps de vous apprendre comment prendre bien soin de nous, la rosée, les fruits, nous tourner régulièrement et nous offrir du confort pour éviter des plaies dues à l’immobilisme appelées en jargon Gangraena per decubitum.
Après une journée à la barre, Arthur s’assoupit, sur place, Bertrand l’allonge avec les deux autres et prend la barre quand la nuit tombe.
le vent s’est levé apportant une légère humidité qui est une caresse pour leurs corps assoiffés et leur redonne l’espoir de d’avoir la pluie.
Bertrand tient le cap toute la nuit, passant le relai au matin pour cueillir une rosée plus abondante que la veille. Arthur ne s’éveille pas malgré les sollicitations et le linge qui lui baigne le visage. Les chevaliers ont les traits émaciés, surtout les trois à peine adultes.
Bertrand est las, d’un naturel volubile souvent didactique, il peine au septième matin sans eau douce à dés-embrumer son esprit et sa bouche.
Il effectue les soins par automatisme, beaucoup plus lentement que la veille, sans joie. La Dame, qui a suivi ses indications, l’assiste.
Le nuage gris s’étiole au dessus d’eux et les nuages de pluie sont visibles avant l’horizon. Bertrand rame le matin en duo avant d’abdiquer.
Il reprend la barre se couche avec le soleil en donnant quelques dernières recommandations. La Dame soigne les hommes et barre toute la nuit.
Bloquée au milieu de nulle part, ses amis inconscients, seule à ramer, sans pouvoir, elle ressent une faim intense depuis quatre jours malgré de copieux repas. Son esprit évoque tour à tour chacun des animaux qu’elle a mangés vivants. Les oiseaux de mer fuient son regard brûlant.
Dans l’après midi, une bruine complète la rosée du matin, elle la partage entre les chevaliers. Son espoir de les voir réveillés grandit.
Elle continue sa route à l’est, le vent donnant bien la nuit, elle rame le jour, sentant poindre les limites de sa résistance à la fatigue.
Observant la voûte céleste pour se guider, elle constate la disparition du nuage spiralé qui se maintenait à la verticale de l’embarcation.
Elle accueille avec fortes exclamations une averse brève mais rafraîchissante, dont elle distribue par petites doses ce qu’elle a recueilli.
Bertrand remercie le ciel en latin dans son sommeil. Toutes les deux heures, elle donne à chacun un peu d’eau et voit la vie renaître en eux
Suivant une sorte d’instinct bienveillant, elle mâche longuement des fruits et de la viande et à chacun donne la becquée de cette bouillie.
Elle alterne pilotage de la yole et nourrice un jour de plus jusqu’à voir à midi un point blanc au Nord qui grandit vite et devient voilure.