Je vous écris depuis la Lune où je suis né-e

La mission : Se poser sur la Lune, pour neuf jours. Y prélever des échantillons de sol, y mener des expériences de chimie et surtout de géologie et de biologie pour y implanter la nation dans la décennie suivante.

L’équipage : Le capitaine, Papa et Maman.

L’alunissage : Suite à une tempête solaire non planifiée, l’ordinateur s’est éteint, a grillé ou n’était pas redémarrable. La radio a cessé de recevoir et à priori d’émettre. La panne a eu lieu pendant la poussée de correction à mi course, après l’injection vers la Lune. Le Capitaine a essayé de remettre le vaisseau dans une trajectoire de retour libre vers la Terre, après le passage derrière la Lune, mais sans avoir les données de vitesse et de positionnement précises c’est impossible. Le risque était de se faire éjecter vers une trajectoire lointaine, voire interplanétaire par effet de fronde, ou d’orbiter trop bas. Et là c’est la fin pour tous. Le capitaine a changé d’avis et choisi de freiner et d’alunir le train lunaire complet, pour avoir assez d’espace et de ressources vitales, de réparer les antennes, et de demander de l’aide du vaisseau concurrent, la N1, ou au pire de l’empire américain qui avait plusieurs lanceurs prêts à partir. Pourquoi pas l’union entre les nations et les peuples. Mais sans ordinateur, pas de radar, ni de mesure de l’altitude et de la position. L’équipage au complet a fait les calculs à la main et a chronométré le temps des poussées. Le vaisseau a heurté la surface lunaire avec une vitesse de seize mètres par seconde. Environ trois cents fois moins que la vitesse à laquelle ils ont abordé l’orbite basse de la Lune. Mes parents, sur ordre, étaient bien sanglés dans l’atterrisseur à l’arrière. Ils pensent que le capitaine a voulu sauver son équipage et l’atterrisseur, pour leur permettre un retour sur Terre en catastrophe. Le régolithe lunaire a dissipé une partie du choc. Le capitaine, debout la tête devant hublot, les mains sur les manettes des gaz a subi traumatisme crânien et hémorragie abdominale, peut être soignable par Papa mais dans un hôpital, même de campagne, pas à bord d’un vaisseau dans lequel trois personnes avaient vécu soixante dix huit heures. L’asepsie c’est vital.

Installation : Le vaisseau a créé un petit cratère de plus. Il était planté dans le régolithe dense avec un angle de 35°. Puis s’est affaissé jusqu’à 33°. Pour le stabiliser et soulager les contraintes structurelles, mes parents ont empilé des blocs congelés sous l’atterrisseur et les ont maçonnés avec de la glace et recouvert de régolithe pour les isoler du soleil. Par la suite ils ont fait grandir cette structure pour protéger le vaisseau du froid lunaire et des radiations. Seuls les hublots et le sas sont libres. Ce qui rend le vaisseau presque invisible, dommage pour des secours éventuels. Mais d’abord ils ont démonté tout ce qui pourrait servir. Pour mes parents ça a été une longue période très dure. Ils ont fini par tuer le temps dans les bras l’un de l’autre et c’est là que l’enfant de l’amour, autrement dit moi allait arriver. Ils se sont activés très intensément pour créer un espace vital pressurisé pour m’élever.

L’habitat : La base de travail au départ c’est le vaisseau enterré. Le fait d’avoir tout le train lunaire et non pas juste l’atterrisseur est une chance. Plus d’espace, pièces détachées, ergols. Le module orbital planté dans le régolithe s’est gauchi mais n’a pas été brisé. Depuis sa conversion, il sert de sas d’entrée avec le reste. Et il alimente une petite flamme qui donne de la chaleur dans l’igloo, surtout pour les nuits lunaires. Le choc a dégagé une surface de régolithe dense. Dans le cratère, ils ont aménagé un cône tronqué de vingt mètres de diamètre, sur cinq de haut, et dix mètres dans la partie basse. ils y ont accumulé toute la neige possible, jusqu’à le remplir. Oui il neige au pôle. Ensuite ils ont construit un igloo hémisphérique avec des parpaings taillés de régolithe congelés, et maçonnés avec de la neige. Cet igloo englobe le cône et s’appuie sur la construction qui soutient le vaisseau. La paroi de l’igloo est épaisse d’un mètre environ et recouvert de deux mètres de régolithe. Ils ont fait bouillir de l’eau à l’intérieur qui s’est condensée sous forme solide sur toute la face interne de l’igloo pour améliorer son étanchéité et sa résistance Il est solide et a été consolidé dans le temps, de l’extérieur, grâce à la neige qui tombe dessus et que mes parents ont fait fondre. Le confort dont je dispose grâce à eux est incomparable par rapport au volume habitable qu’ils avaient au départ. Mon air est relativement sain, j’ai de l’eau à boire, je mange des feuilles et des fruits tous les jours

Lumière et chaleur : Le générateur fournit l’électricité aux quatre projecteurs de l’atterrisseur. L’éclairage et le générateur sont installés au centre de l’igloo sur les 4 pieds prélevés sur l’atterrisseur. Cette lumière selon un cycle jour nuit, était importante pour maintenir les fonctions biologiques de mes parents. La nuit, le générateur recharge les batteries. Au début le générateur thermo électrique au strontium 90 suffisait presque à maintenir cet espace vital tiède pour l’igloo, nous trois et toutes les plantes et petits animaux qui occupaient cet espace de vingt mètres de diamètre. Et nourrir les plantes de lumière pour qu’elles puissent nous nourrir en retour, et nous offrir de l’oxygène. La flamme en veilleuse suffisait à compenser. Le Strontium 90 a une demi-vie de 28,9 ans. Il a fallu réchauffer le générateur avec la flamme pour continuer à produire assez d’électricité et de lumière pour les plantes.

Éducation : Mes parents étaient des précurseurs et par la force des choses sont devenus des pionniers.

Ils m’ont tout appris, leur langue maternelle, et puis l’anglais. Ils m’ont transmis leur connaissance dans leurs métiers d’ingénieur, de médecin, de biologiste, de géologue et d’agronome. Et de cosmonautes. Je leur dois la vie d’abord car ils m’ont conçu et élevé et ensuite car ils m’ont protégé et permis de vivre, mieux que survivre, dans l’endroit le plus inhospitalier, le plus désolé que l’humanité ait connu. Igor a appris le russe et à être un ami. Il y a peu de papier, dans mon microcosme à part trois livres, Un amour en l’an 41042, Les contes de la Taïga, Guerre et Paix, dans lesquels tous les deux m’ont laissé des milliers de petits mots d’amour. Je pense à eux en lisant ces livres et ils sont toujours là avec moi en pensées quand je les lis. Nous avons beaucoup échangé grâce à un tableau improvisé dans une tôle du vaisseau. Certains morceaux de régolithe font une bonne craie une fois passés à la flamme.

Eau : je mange parfois une petite crevette d’eau douce qu’on a réussi à bien adapter à notre foyer. Elles consomment une partie des déchets végétaux qu’on met dans l’eau pour donner un engrais efficace en arrosant les plantes avec leur eau. Il faut souvent renouveler l’eau de leur bassins, mais de l’eau douce on en a facilement, dehors. et les crevettes participent à l’équilibre de la vie dans l’igloo en minéralisant l’eau. La glace se dépose dehors en fines paillettes souvent jolies comme la neige que connaissent les terriens. On récupère aussi l’eau de condensation du dôme de glace grâce à une stalactite principale, près du centre au dessus du bassin principal dont on a amorcé la croissance nous même un jour en faisant une pyramide humaine à trois pour coller un bloc de glace allongé au plafond. Elle goutte pendant les jours lunaire et s’arrête les nuits lunaires. D’autres petites stalactites sont apparues par la suite mais la première a permis d’éviter que l’eau ne tombe sur l’installation électrique au milieu de l’igloo en phase de dégel.

Nourriture : petit à petit à force de se reproduire, grâce à nous qui jouent le rôle d’abeilles butineuses, les plantes ont su profiter de mieux en mieux de cet environnement pauvre. Je mange chaque jour une feuille de betterave longue comme mon bras, une feuille de chou presque aussi grande, des tomates rouges et noires et du raisin bleu noir. Tous ces fruits et feuilles colorés pour me donner les nutriments utiles à survivre dans un milieu comme ici. Il y a aussi des pommes de terre, des haricots, du sarrasin, du blé d’hiver et deux espèces de champignons. Les autres espèces des expériences biologiques à l’origine, n’ont pas survécu à ces 50 ans de dur labeur.

Recyclage : mes parents ont eu le courage de manger leur capitaine. Je leur avais dit que ce ne serait pas possible pour moi. Je n’ai jamais mangé de viande, commencer par mes parents me semblait bien au-delà de toute limite. Si je venais à mourir avant eux, ils ont avoués que ça aurait été impossible pour eux de me manger. L’Amour. De là est venu l’idée d’un système de compostage sous le générateur. Point central et endroit le plus tiède. Une façon de recycler entièrement toute la matière précieuse qui vient de la Terre. Chaque micro-organisme, chaque molécule, chaque atome rare, venus à bord du vaisseau est précieux et doit être recyclé. Quatre trous de trois mètres de profondeur dans un sol déjà ramolli par l’eau et l’activité biologique. On y met tous les déchets végétaux et organiques dans un trou, chacun leur tour jusqu’à le remplir, puis tasser et le recouvrir de régolithe. Pour l’instant on ne met que des feuilles mortes et des petits déchets humains. On va laisser le temps aux grandes racines, aux vers de terre et aux réseaux de champignons de s’installer. Et ces trous servent à inhumer au moins deux d’entre nous. Ça a été dur mais mes parents y sont. Igor accepte d’être mangé mais même lui ça me semble impossible.

Oxygène : L’oxygène est presque épuisé dans les réservoirs d’ergols. Nous avions besoin d’y puiser quand nous y vivions à trois, beaucoup moins à deux. Et ce n’est plus nécessaire pour vivre dans l’igloo maintenant que je suis seul. Les plantes font un travail formidable. Je n’utilise l’oxygène des réserves que pour sortir dehors, avec Igor.

Sortir : On sort une fois par semaine. Igor sort dans mes bras pour profiter du panorama, pour me tenir compagnie, et pour veiller sur moi pendant que je travaille dehors. Je prépare une bouillotte pour lui avec de l’eau tiède, une grande feuille de betterave chacun et on rentre quand il a froid ou qu’il me sent fatigué.

Ressources : Igor dit que ses congénères sont des très mauvais gestionnaires de ressources. Ils mangent parfois le premier petit bourgeon, la première petite feuille, ce qui tue souvent la plante, si elle n’a plus les ressources pour refaire pousser à nouveau la petite surface qui lui permet de capter énergie et carbone. Mes parents étaient fâchés avec eux surtout au début quand les stocks de graines, qui venaient de la Terre, était limités. Ma mère avait même tenter d’installer une clôture électrique, mais ils finissaient toujours par rentrer. Et tout dévorer. Igor dit que ses cousins ne lui manquent pas. Il préfère ma compagnie. Mes parents m’ont raconté que sur Terre aussi il y a des problèmes de ressources et que certains mangent la part des autres, voire gaspillent des ressources précieuses.

Seuls : Le fait d’avoir un environnement très vert et très fleuri ici a réduit leur nostalgie mais je les voyais souvent regarder la planète bleue par les hublots de l’atterrisseur aussi souvent que possible. Parfois seul, parfois main dans la main. Mes parents sont partis chacun leur tour à moins d’un an d’intervalle, ils ont eu une longue vie par rapport à leur compatriotes et une très longue pour une situation extrême comme ici. Je ressens peu la solitude grâce à Igor, aux petits mots dans les livres. Et aux livres eux-même. Mais la vie était plus facile à trois ou quatre.

Sauvetage ? : bientôt la solitude prendra fin, Igor me l’a affirmé plusieurs fois. Il a réussi à prendre contact avec quelqu’un qui est seul aussi. Je ne vous ai pas présenté Igor ? Igor a fait le trajet sous forme d’œuf parmi des centaines, des milliers d’autres. Il savait, dès tout petit, se cacher quand ses frères ou ses cousins mangeaient les feuilles de nos plantes et que mes parents les mangeaient en retour. Il a grandi jusqu’à remplir le casque du capitaine quand il veut se promener dehors avec moi. Puis Il a choisi de ne plus grandir pour toujours pouvoir rentrer dans ce casque. Igor est mon aîné d’au moins un an, il est énorme pour son espèce mais surtout depuis qu’il a grandi assez, il me parle dans mon esprit et je peux lui répondre. Peut être un effet de la tempête solaire qui causa l’accident. La Terre est trop loin pour communiquer, mais il me dit que le solitaire est parfois dans la Lune. Igor finira par lui faire comprendre où nous sommes. Ça devient urgent, la flamme ne durera que quelques semaines, quelques mois toute petite mais nous avons besoin de sa chaleur pour la prochaine nuit. Je garde espoir. Igor l’escargot j’ai confiance en toi.

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